Personnel scientifique

Doctorats en sciences humaines / écologie politique (f/h/x) – Appel à candidature Projet ARC Anthropocène local et transition vernaculaire

Votre mission

Résumé et objectifs du projet de recherche

 Depuis les années 2000, le terme d’Anthropocène (Crutzen 2000) désigne la période de l’histoire durant laquelle les humains sont devenus la première force de transformation de la planète. Certains de ces transformations sont désormais perçues comme des catastrophes : la crise climatique, la disparition des vivants non-humains, constituent quelques-uns des plus grands enjeux auxquels l’humanité doit faire face. Pour continuer avec ces deux exemples, dans le premier cas, de nombreuses recherches travaillent ainsi sur des outils, techniques, mais également politiques, permettant de lutter contre le “réchauffement climatique global”, notamment en diminuant les émissions de CO2 ou en développant des techniques pour le capter. Dans le second cas, on essaie désormais de protéger les écosystèmes, en augmentant par exemple la surface des espaces faisant l’objet d’une protection, y compris dans le cas des “réserves naturelles” (Cronon 2016).

Cependant, la notion d’Anthropocène pose trois problèmes. Premièrement, elle fait de l’humanité en générale un facteur de transformation de la planète. Cette notion repose implicitement sur la conception occidentale moderne de l’humanité : elle l’appréhende comme une catégorie indifférenciée. En conséquence, deuxièmement, l’Anthropocène ne permet pas de distinguer, au sein de l’humanité, des modes de vie et de penser qui ne sont pas nécessairement destructeurs pour la planète. En outre, elle recouvre les rapports économiques et sociaux de domination pourtant à l’origine de ces destructions du fait de leur extension à la totalité (ou presque) de la planète. Troisièmement, en tant que terme généralisant, elle empêche de penser les effets de l’Anthropocène en situation ou, autrement dit, la façon dont il se manifeste et les effets singuliers qu’il produit aux différents endroits du globe. Pour ces trois raisons, la notion d’Anthropocène complique l’approche et l’analyse des moyens eux-mêmes singuliers déployés par des populations, en situation, pour prévenir ou s’adapter aux catastrophes.

Partant de ce constat, ce projet a pour objectif d’étudier la façon dont des collectifs humains qui ne s’inscrivent pas dans les logiques de pensée modernes ou plus précisément, pour reprendre les mots de Bruno Latour (2017), qui n’appréhende pas les problèmes écologiques depuis un « imaginaire mondial/moderne » (c’est-à-dire renvoyant à la mondialisation du mode de penser rationalisant, universalisant et objectivant caractérisant la modernité) se rapportent à l’Anthropocène. Comment ces groupes terrestres se confrontent-ils aux multiples catastrophes et violences qui affectent leurs manières d’habiter un territoire ? Dans quelles mesures leurs pratiques, leurs discours et leurs manières d’habiter un territoire sont en tension avec la transition écologique pensée à une échelle mondiale à partir de référentiels modernes ? Ce projet doit permettre d’identifier ces tensions et ces conflits entre des modes de vies et de penser vernaculaires et/ou non modernes et les référentiels internationaux qui tendent de plus en plus à s’imposer en matière de protection de l’environnement.

Pour ce faire, notre projet est conçu en trois temps. Dans un premier temps, il s’agit, à partir de trois études de terrains, en Europe (Belgique) et en Afrique Centrale (RDC(1)), de comprendre de quelle façon les populations vivent l’Anthropocène sur un territoire donné et enclenchent, à partir de là, des transitions écologiques spécifiques, parfois très différentes du modèle mondial/moderne de la transition. Nous nous pencherons ainsi sur : (a) des mouvements expérimentant, en Belgique Francophone, de nouvelles façons de s’attacher aux territoires, de les habiter, les cultiver, en partant des potentialités propres à des terrains urbains fort affectés par une ancienne exploitation industrielle : les mines de charbon (Doctorat 1) ; (b) des populations et territoires exposés à la toxicité des mines d’uranium, de cobalt ou de l’or en Afrique centrale et qui proposent des pratiques alternatives de conservation et de soin de ceux qui sont affectés par la dégradation (Doctorat 2) ; (c) des expériences de groupes mobilisant les questions d’écologie et des sols en Belgique pour comprendre la précarité de personnes racisées sur des territoires urbains et les luttes politiques de celles-ci (Post-doctorat).

Dans un second temps, à partir de ces terrains, de manière transversale et pluridisciplinaire, le projet étudie les conceptions situées de l’Anthropocène et des transitions écologiques. Il croise la socio-anthropologie, les études environnementales, la philosophie et l’urbanisme et cherche à répondre à une lacune fondamentale des sciences sociales : leur relatif effacement dans le champ des études de l’Anthropocène. Nous introduirons dans le débat autour de l’Anthropocène un regard alternatif susceptible de favoriser un réexamen du cadre mondial/moderne dans lequel on pense actuellement la crise écologique. Le projet repose sur deux concepts théoriques novateurs : l’Anthropocène local (la manière dont la dégradation de l’environnement est toujours vécue localement par les collectifs humains) et les transitions vernaculaires (les pratiques situées de conservation et de soin apportées au milieu rompant, avec l’opposition entre l’humain et la nature, le dualisme caractéristique de la modernité).

Dans un troisième temps, le projet entend développer, grâce à des collaborations en Europe et en Afrique Centrale, une nouvelle approche du rapport aux savoirs favorisant : (a) une démarche de co-construction des savoirs mobilisant les collectifs humains luttant, en situation, contre la crise écologique ; (b) le renforcement des capacités des chercheurs et des

communautés locales à travailler ensemble, de façon inclusive, sur les manifestations situées de l’Anthropocène, sur les modalités locales de la transition écologique ; (c) une requalification, par la mise en lumière des savoirs et des pratiques vernaculaires et/ou non-modernes, des politiques publiques en matière d’écologie et de protection de l’environnement au Sud et au Nord. À travers 3 recherches, ce projet interroge et croise divers terrains et situations en Europe et en Afrique Centrale qui sont en tension avec la version hégémonique de la dégradation, l’objectif étant de comprendre ce qu’ils disent de l’Anthropocène et de transitions écologiques.

(1) Nous sommes ouverts à la proposition d’autres terrains qui pourraient permettre l’étude de l’anthropocène local et de la transition vernaculaire en Afrique centrale.

Þ Doctorat 1. La première recherche étudie les mouvements expérimentant, en Belgique Francophone, de nouvelles façons de s’attacher aux territoires, de les habiter, les cultiver, les réensauvager en partant des potentialités propres à des terrains urbains fortement affectés par une ancienne exploitation industrielle : les mines de charbon.

 Le détachement des collectifs humains des territoires locaux a longtemps constitué le vecteur de l’émancipation moderne. Il devait rendre possible l’avènement d’un nouvel ordre humain (Guillaud 2005 ; Citot 2005) affranchi, en particulier, des contraintes environnementales. Par détachement, nous entendons la rupture opérée, le plus souvent de force, par la modernité industrielle par rapport à la relation de co-construction des collectifs humains et de leurs territoires constitutive des modes de vie vernaculaires (Mendras 1974). Si ce détachement moderne a longtemps été perçu comme le marqueur du progrès (Descola 2014), celui-ci est aujourd’hui de plus en plus couramment désigné de façon négative : l’industrialisation des territoires a contribué à la destruction des milieux naturels, jusqu’à transformer la naturalité des sols qui conditionne fortement le déploiement des vies non-humaines (Chopot, Balaud 2022). En ce sens, l’Anthropocène n’est pas simplement le nom d’une destruction, mais aussi celui d’un bouleversement des puissances ou des potentialités propres à ces milieux.

On assiste toutefois à l’émergence d’une série de mouvements d’émancipation politiques (Zones à Défendre, mouvement des communs, Brigades paysannes, néo-paysans, etc.) qui mobilisent, contre cette modernité du détachement, la figure de l’attachement aux territoires (Vidalou 2017) : il s’agit de repenser nos relations aux territoires et aux vivants qui les peuplent afin de recréer collectivement des communs, de favoriser l’autonomie des collectifs humains sur un territoire. Ces expériences collectives ne rejouent pas simplement, contre le « détachement moderne », un « retour » ou une « revalorisation » des formes d’attachement aux territoires données par avance (un « chez nous » ou une « nature »). Au contraire, ces collectifs développent des stratégies d’attachement aux territoires au sens où, pratiqués de façon stratégique, ceux-ci sont envisagés comme des lieux d’expérimentation mettant en jeu, d’un côté, les potentialités propres à chacun de ces territoires et, de l’autre côté, les échanges, les croisements, les hybridations des savoirs (vernaculaires, scientifiques, techniques, etc.) apportés par ceux qui les rejoignent (ruraux, urbains, naturalistes, anciens paysans, etc.) (D’Allens, Fuori 2018).

En somme, on expérimente en situation de nouvelles façons d’habiter, de cultiver, de protéger des territoires toujours singuliers. Ces différents mouvements obligent ainsi à penser autrement les tensions entre le local et le mondial. D’un côté, l’Anthropocène se manifeste toujours localement – la dégradation des milieux ne s’est pas opérée de la même façon en tout lieu. En partant des manifestations locales de l’Anthropocène, les expériences évoquées ci-dessus déplacent ainsi les grands enjeux liés à la transition écologique du champ du développement générique d’une « industrie verte », d’une agriculture durable et de la protection de la nature à celui de la création de nouveaux communs situés (Darcis 2022). De l’autre côté, ces communs mobilisent une multiplicité de savoirs hétérogènes, voire antagonistes, depuis les savoirs naturalistes jusqu’à ceux issus de l’anthropologie.

Cette recherche aborde ces expérimentations en situation en se focalisant sur trois points :

(a) les conflits, les articulations, les échanges suscités par la confrontation entre des rationalités hétérogènes ; (b) les déplacements qu’ils opèrent par rapport aux domaines d’expertise constitués ; (c) les modalités de fabrication, d’écriture et de diffusion de ces savoirs situés.

Autrement dit, nous tenterons donc de comprendre :

a) Quels sont les savoirs mobilisés pour dégager les potentialités de ce terrain fortement affecté par ses activités industrielles passées ? À quels champ (théorique, pratique, scientifique, vernaculaire, etc.) appartiennent-ils ?

 b) De quelle façon ces savoirs hétérogènes sont-ils mis en jeu dans les pratiques d’aménagement d’un territoire commun situé ?

 c) Comment les “résultats” sont-ils discutés, racontés et partagés à l’intérieur et avec d’autres collectifs développant, ailleurs, leurs propres stratégies d’attachement aux territoires ?

 Þ Doctorat 2. Une deuxième recherche étudie l’Anthropocène local et la transition vernaculaire à partir des expériences des populations et territoires exposés aux effets toxiques des mines d’uranium, de cobalt ou de l’or en Afrique centrale et qui proposent des pratiques alternatives de conservation locale et de soin de ceux qui sont affectés par la dégradation.

 Ce package étudie l’Anthropocène local et la transition vernaculaire à partir des cas des populations locales rurales confrontées aux conséquences environnementales des activités minières des entreprises multinationales qui polluent à la fois les terres, les corps et, plus largement, les territoires de vie en Afrique centrale. Il propose ainsi un décentrement des terrains européens afin d’étudier la vulnérabilité et l’agencéité des acteurs subalternes exposés à la dégradation environnementale.

Comme le montre nos recherches exploratoires, la modernisation minière en Afrique centrale provoque la délocalisation et l’accaparement des terres des populations locales pauvres (Nyenyezi Bisoka 2022). En acquérant des concessions minières, ces compagnies ont également mis la main sur les autres ressources naturelles du milieu et les ont souvent utilisées à leur gré (Bashizi 2020 ; Vogel & al. 2022 ; Geenen & al. 2022). Dès la phase d’exploration, les compagnies minières ont mis en place des stratégies d’accaparement des terres des communautés locales et ont souvent expulsé celles-ci en dehors de leur périmètre d’exploitation (Geenen et Claessens 2013) et vers des terres dégradées et impropres à l’agriculture (Mukotanyi 2022). Cet accaparement via le déguerpissement des populations au nom de la modernisation minière est promu par les institutions financières internationales et autorisé par le gouvernement congolais (Geenen & al. 2020). Il permet aux entreprises minières d’étendre leur exploitation sur des territoires de vie des populations, provoquant ainsi la dégradation de l’environnement en général et des ressources naturelles en particulier : la dégradation des ressources en eau (Nkuba et al. 2019), des espaces forestiers (Judith andal. 2019), du micro-climat (Banshizi 2020), etc.

Ce package veut comprendre les situations de dégradation en Afrique centrale à partir de la critical political ecology (Goldman et al. 2016). Cette approche combine (a) la political ecology et (b) l’anthropologie de la nature et l’anthropologie décoloniale dans le but d’évaluer, de manière critique (critical), les rapports entre les discours sur la dégradation et la manière dont ces dernières sont réellement vécues par des catégories spécifiques de populations. Courant scientifique critique, « principalement anglo-saxon, la political ecology se situe à la croisée entre l’écologie, les politiques environnementales et les populations qui transforment les milieux et sont l’objet des politiques » (Arnauld de Sartre et al. 2014 : 24). Elle permet de mettre en relation, de manière critique, l’économie politique, l’action des acteurs et l’environnement pour comprendre la manière dont les relations de pouvoir créent les interactions environnement-sociétés et comment les discours et récits construisent des vérités sur l’environnement en perpétuant les rapports de domination (Ibid).

Tout d’abord, en montrant les jeux de pouvoir – et leurs effets sur les corps et les territoires – derrière les changements environnementaux (Robbin 2012, 3), nous pourrons évaluer la problématisation environnementale au sein du référentiel global de la réforme minière (les idées néo-malthusiennes de la modernisation sur le rapport entre changements environnementaux et démographie ; l’impensée des théories de la modernisation sur le rapport entre d’une part l’efficacité économique et les techniques modernes et d’autre part les changements environnementaux ; etc. – Gautier et Benjaminsen, 2012).

Ensuite, en prenant au sérieux les récentes critiques du caractère mondial/moderne de certaines études inscrites dans la critical political ecology (Schulz, 2017 ; Nyenyezi Bisoka 2021), nous étudierons la manière dont la dégradation de l’environnement couplée à la souffrance de la population en Afrique centrale a eu pour condition de possibilité une modernisation minière inscrite dans la colonialité globale (Ndlovu-Gatsheni 2021). Nous considérons la colonialité globale comme une structure de pouvoir mondiale moderne en place depuis l’aube de la modernité et fonctionnant comme une matrice de pouvoir qui façonne et entretient des relations de pouvoir asymétriques entre le Nord et le Sud (Ibid. 2014). En d’autres termes, pour les populations pauvres en Afrique centrale expulsées par les multinationales au nom des politiques internationales de modernisation minière, l’enjeu majeur est certes de montrer les rapports entre ces politiques de modernisation, la dégradation environnementale et les rapports d’exploitation déployés à plusieurs échelles. Cependant, cette perspective ne devrait pas ignorer à la fois la colonialité globale qui sous-tend cette modernisation à l’échelle globale et ses effets de race. En d’autres termes, dans ce packadge, nous tenterons d’approfondir les premiers constats issus de nos recherches exploratoires qui suggèrent d’aller de plus en plus vers une decolonial political ecology afin de mieux percevoir les expressions de l’Anthropocène local sur des terrains bien situés.

Finalement, si les effets de race (visibles dans le discours et les effets qui rendent possible la colonialité globale – Ndlovu-Gatsheni 2021) produisent la violence et la vulnérabilité, les acteurs qui y sont exposés dans leurs corps et sur leurs territoires réagissent à la fois pour leur soin et celui de la nature. Ce package étudiera les formes d’agency et de résistance qui se dégagent de ces actions et ce qu’elles disent en termes de transitions vernaculaires. Dans ce package, nous tentons donc de comprendre :

(a) Comment l’exploitation minière affecte les corps et les territoires de vie des populations locales du point de vue environnemental et humain ;

 (b) Comment, face à cette violence, ces populations essaient de s’en sortir et ce qu’elles mobilisent en termes de rationalités, de discours ou de pratiques pour cette fin ;

 (c) Ce que ces situations de vulnérabilités et pratiques d’agentivité et de résistance font de notre compréhension des dynamiques populations/territoire en Anthropocène.

Votre profil

La candidate ou le candidat doit être porteur.euse d’un Master dans le domaine des sciences humaines (anthropologie, sociologie, philosophie, urbanisme, sciences politiques, etc.) ou l’avoir obtenu lors de son entrée en fonction.

Notre offre

Dans le cadre du projet Anthropocène local et transition vernaculaire, financé par l’ARC, les services de Sociologie et Anthropologie (École des Sciences Humaines et Sociales) et d’Arts et Techniques de Représentation (Faculté d’Architecture et d’Urbanisme) de l’Université de Mons engagent deux doctorant.es pour réaliser une thèse en Sciences humaines et sociales dans le domaine de l’écologie politique. Les deux doctorats proposés s’inscrivent dans un projet de recherche collectif impliquant, chaque fois, des temps de terrain.

Le doctorat débutera le 1er octobre 2023 pour une durée de 4 ans.

Intéressé(e) ?

Les candidatures comporteront un curriculum vitae ainsi qu’un document de deux pages maximums dans lequel la candidate ou le candidat explique comment il ou elle pourrait inscrire ses recherches dans le cadre de ce projet ou, autrement dit, se l’approprier.

Les candidatures sont à envoyer pour le 30 juin 2023 au plus tard à Aymar.Nyenyezibisoka@umons.ac.be, David.Jamar@umons.ac.be, Damien.Darcis@umons.ac.be.  Les candidates et candidats retenu.es seront reçu.es à l’Université de Mons pour un entretien le 14 août 2023. Il sera possible d’organiser un entretien en ligne pour celles et ceux qui ne seront pas en mesure de se déplacer.

Type d'emploi
Doctorats en sciences humaines / écologie politique
Contrat
à durée déterminée, renouvelable
Date de publication
24 mai 2023
Date limite pour postuler
30 juin 2023

Informations de contact

Aymar Nyenyezi Bisoka / David Jamar / Damien Darcis