Une chercheuse du service de Physique Nucléaire et Subnucléaire bénéficie d’une bourse pour poursuivre son travail sur la recherche d’un nouveau type de particule subatomique
Vers une nouvelle forme de matière
Rédigé par Claude Semay et Cintia Willemyns (chercheuse dans le service de Physique Nucléaire et Subnucléaire, bénéficiaire d’une bourse postdoctorale de l’Institut Complexys)
Toute la matière qui nous entoure est faite d’atomes, formés d’un noyau entouré d’un cortège électronique. Le noyau est un agrégat de protons et de neutrons, eux-mêmes constitués de particules – à ce jour les plus élémentaires connues – les quarks. Les quarks jouissent d’une propriété très particulière : ils interagissent faiblement entre eux quand ils sont très proches et très fortement lorsqu’ils sont distants l’un de l’autre. Tenter de briser un proton en y injectant beaucoup d’énergie (dans un accélérateur de particules, par exemple) ne sert qu’à produire de nouvelles particules, en vertu de la célèbre équivalence entre la masse et l’énergie. Ce phénomène est dû au fait que les quarks peuvent porter trois charges différentes que l’on a désignées sous le nom de « couleur ». Les quarks sont obligés de s’assembler en combinaison annulant la charge de couleur (un peu comme une charge électrique positive et une charge électrique négative s’attirent pour se neutraliser), ce qui est possible dans un baryon contenant trois quarks de trois couleurs différentes (comme des lumières de trois couleurs fondamentales forment du blanc en se superposant) ou dans un méson contenant un quark d’une couleur et un antiquark (quark d’antimatière) de l’anti-couleur correspondante (la charge électrique négative pouvant être considérée comme l’anti-charge de la charge électrique positive). L’interaction entre un (anti)quark et un autre (anti)quark se fait par échange de couleur grâce à un autre type de particule appelée gluon, qui a la particularité de porter à la fois une charge de couleur et une charge d’anti-couleur (par exemple, un quark rouge devient vert en émettant un gluon rouge-anti-vert qui est capté par un quark vert qui devient alors rouge). La théorie décrivant cette interaction est appelée chromodynamique quantique (habituellement abrégée en QCD pour « quantum chromodynamics »).
Alors que les baryons (dont les protons et neutrons font partie) et les mésons sont connus depuis fort longtemps, la QCD prédit l’existence d’autres types de particules, mais qui ne sont pas encore observées. Citons (q pour quark, q pour antiquark, g pour gluon) : les tétraquarks (qqqq), les pentaquarks (qqqqq), les dibaryons (qqqqqq), les mésons hybrides (qqg), les baryons hybrides (qqqg), les boules de glu (gg, ggg…). Un important programme expérimental de recherches vient d’être approuvé au Jefferson Lab (JLab) pour produire et étudier les baryons hybrides. Le problème est qu’il est difficile de distinguer ces particules des baryons ordinaires qui seront inévitablement produits en même temps. Le but de mon travail est de fournir des données théoriques fiables concernant ces baryons hybrides pour guider le travail des expérimentateurs.
Malheureusement, la QCD possède une structure mathématique très riche qui empêche toute solution analytique à basse énergie, dans le domaine de production des baryons hybrides. De plus, la constante de couplage naturelle de la théorie est de l’ordre de 1, ce qui interdit tout développement en série des calculs pour cette constante. Il est donc nécessaire d’utiliser des techniques particulières pour pouvoir les effectuer. Celle pour laquelle j’ai acquis une certaine expertise par mes recherches précédentes est la QCD à grand nombre N de couleurs (LNQCD pour « large N QCD »). L’idée est de fabriquer artificiellement un petit paramètre 1/N et de faire tendre N vers l’infini. La théorie devient alors plus simple et il est possible de calculer des masses de particules et des caractéristiques de production et de désintégration. Le miracle est que cette approximation fournit des résultats pertinents pour le cas N = 3 qui correspond à la situation physique. Cette technique nécessite toutefois l’apport d’autres modèles pour fixer les valeurs des paramètres non prédits par la LNQCD.
Une procédure intéressante est d’utiliser un modèle potentiel où la dynamique du système est contrôlée par une équation de type Schrödinger. Dans la LNQCD, un baryon hybride devient un système composé de N quarks et de 1 gluon. Il faut donc être capable de résoudre un problème quantique à (N + 1) corps. C’est là qu’intervient l’expertise de mon service d’accueil à l’UMONS qui a perfectionné une technique particulière appelée « théorie des enveloppes ». Le but de mon travail est donc de combiner cette méthode de calcul avec la LNQCD pour déterminer les propriétés des baryons hybrides, avec l’espoir de mieux connaître cette nouvelle forme de matière.