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La liberté académique n’est pas un privilège, mais un pilier essentiel d’une société libre

Publié le 7 juillet 2025
Rédigé par CRef / VLIR
Dans un monde marqué par l’instabilité politique et la remise en question des institutions, la liberté académique devient un enjeu crucial. Les rectrices et recteurs des dix universités belges lancent un appel solennel pour la défendre, soulignant son rôle fondamental dans la préservation de la démocratie, la qualité de l’enseignement, et le progrès scientifique. Ce texte signé conjointement par le Conseil des rectrices et recteurs (CRef) et le Conseil interuniversitaire flamand(VLIR), publié le 7 juillet 2025, invite à une prise de conscience collective et à une mobilisation pour garantir aux universités leur mission essentielle : penser librement, débattre ouvertement, et innover sans entraves.

Déclaration conjointe des recteurs des 10 universités belges – 7 juillet 2025

La liberté académique n’est ni un luxe réservé à quelques privilégiés, ni une fin en soi. Elle constitue l’un des fondements des sociétés démocratiques et du progrès scientifique. La défendre ne revient pas à protéger le confort des chercheurs ou à perpétuer des traditions, mais à préserver les mécanismes mêmes par lesquels le savoir est produit, remis en question et affiné. Elle est un levier de progrès, une condition préalable à l’innovation, et la garante de la rigueur intellectuelle qui fonde une science crédible. Sans la liberté de poser des questions audacieuses, d’explorer des idées controversées ou de remettre en cause les certitudes établies, les découvertes ralentissent, l’innovation s’essouffle, et le débat public s’appauvrit. Or, cette liberté s’effrite sous nos yeux — non par un effondrement brutal, mais par une érosion lente et délibérée qui menace la vitalité de la recherche, la qualité de l’enseignement et la santé même de la vie démocratique.

À une époque marquée par une polarisation politique croissante, une instabilité mondiale persistante et une perte de confiance dans les institutions publiques, il est plus que jamais nécessaire de veiller à la liberté académique. Les universités ne sont pas de simples lieux de production et de transmission du savoir ; elles sont des sanctuaires de la pensée critique, de prise de risque intellectuelle et de dialogue ouvert. Leur capacité à accueillir le doute et la complexité est au cœur de toute démocratie en bonne santé. Or, ce rôle est aujourd’hui de plus en plus menacé partout dans le monde, et par des forces aussi bien externes qu’internes.

La véritable liberté académique repose sur trois piliers interdépendants : le droit, pour les individus – chercheurs comme étudiants – d’enseigner, de faire de la recherche, d’étudier et d’exprimer librement leurs idées ; l’autonomie institutionnelle des universités, qui doivent pouvoir se gouverner sans ingérence indue ; et la responsabilité des pouvoirs publics de protéger et de promouvoir ces libertés. Il ne s’agit pas d’idéaux abstraits, mais de conditions nécessaires à la quête de vérité et au progrès de la société.

Les signes du déclin sont alarmants. Le rapport « Free to Think 2024 » de l’organisation Scholars at Risk recense, en une seule année, 391 attaques contre des chercheurs, des étudiants et des institutions, dans 51 pays. Ces attaques – censure, intimidations, arrestations ou révocations – sont souvent justifiées au nom d’une sécurité nationale ou d’une neutralité idéologique. Mais qu’il s’agisse de fidélité partisane inscrite dans les statuts universitaires, de conseils d’administration désignés politiquement ou de réformes des programmes dictées par l’État, le résultat est le même : une remise en cause systémique de l’indépendance intellectuelle .

Il ne s’agit pas d’incidents isolés, mais d’une attaque structurelle contre l’autonomie et l’intégrité des universités. Des mesures présentées sous l’étiquette de la « responsabilité » conduisent souvent à l’autocensure, à des priorités de recherche politisées et au musèlement de la dissidence. L’Indice de la liberté académique (Academic Freedom Index) révèle que 45% de la population mondiale vit dans des pays où cette liberté est gravement menacée, tandis que seulement 15% jouissent d’une liberté académique étendue . En tant qu’universités belges, nous avons le privilège de faire partie du top 5.

Il est préoccupant de constater que les menaces pesant sur la liberté académique proviennent aussi de l’intérieur même du monde universitaire. La polarisation interne, le contrôle idéologique et la crainte d’atteintes à la réputation restreignent ce qui peut être discuté, étudié ou remis en question. Les discussions difficiles sont évitées, et les campus risquent de devenir des chambres d’écho plutôt que des lieux de débat constructif. Quand la curiosité cède la place à la conformité, l’université perd sa vocation critique.

Certaines initiatives — comme la Déclaration de Bonn sur la liberté de la recherche scientifique  et les futures lignes directrices de la Commission européenne sur les valeurs académiques — témoignent d’une prise de conscience croissante du problème. La proposition de l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta d’instaurer une « cinquième liberté » au sein de l’Union européenne — la libre circulation de la recherche, du savoir, de l’innovation et de l’éducation — souligne l’urgence de protéger la mobilité intellectuelle et l’indépendance académique au sein du marché unique. Dans les faits pourtant, ces protections restent inconsistantes et trop souvent symboliques.

Le dernier tableau de bord de l’autonomie (« Autonomy Scorecard »)  publié par l’Association européenne des universités (EUA) révèle une tendance préoccupante : partout en Europe, les universités sont confrontées à des contraintes croissantes. Celles-ci vont de la sur-réglementation et des ingérences politiques informelles à des mécanismes de financement qui brouillent la frontière entre orientation stratégique et microgestion. La pandémie de COVID-19 n’a fait qu’accentuer cette tendance, les gouvernements ayant accru leur contrôle sur les activités académiques — des fermetures de campus à la définition des priorités de recherche. Si certaines mesures étaient nécessaires, leur effet à long terme a été de réduire l’espace de l’autonomie institutionnelle.

Dans ce contexte, la déclaration commune des recteurs des universités néerlandaises, publiée en 2025 , se démarque. Elle souligne que la liberté académique n’est pas seulement un droit juridique, mais aussi une responsabilité culturelle et civique. Les recteurs insistent sur la nécessité de préserver l’ouverture, même lorsqu’elle est difficile, et rappellent que la liberté doit aller de pair avec la responsabilité – envers les étudiants, la société, et les standards scientifiques garants de la crédibilité. Surtout, ils reconnaissent que la liberté académique est menacée à la fois de l’extérieur et de l’intérieur, et appellent à un dialogue national sur le rôle de l’université, les limites de la contestation et le sens du pluralisme. Un appel qui résonne bien au-delà des frontières des Pays-Bas.

Cette conversation doit nous concerner toutes et tous. La liberté académique ne se maintient pas d’elle-même – elle exige une vigilance constante et un engagement actif. Les responsables politiques doivent mettre en place des cadres qui la favorisent, non des mécanismes de contrôle. Les dirigeants d’université doivent promouvoir une culture de l’ouverture, et non de la conformité. Quant aux chercheurs et aux étudiants, ils doivent exercer leur liberté avec intégrité et discernement, en conciliant droits et responsabilités.

La Magna Charta Universitatum de 1988  nous rappelle que l’enseignement et la recherche doivent rester « libres de toute ingérence politique ou commerciale ». Elle insiste également sur l’indissociabilité de l’enseignement et de la recherche, les étudiants y jouant un rôle actif dans la quête de savoir. Ces principes ne relèvent pas de la nostalgie – ils sont toujours d’une actualité brûlante.

Il nous faut également rejeter la fausse opposition entre liberté académique et excellence scientifique. Ces valeurs ne s’opposent pas – elles sont interdépendantes. Les avancées scientifiques naissent rarement du seul consensus. Elles émergent de questions difficiles, de résultats dérangeants, et d’un réel courage intellectuel. Sans liberté de pensée, il ne peut y avoir de véritable découverte. Sans autonomie institutionnelle, pas de résilience. Sans confiance du public, aucune légitimité.

Comme l’a récemment affirmé Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, « la science n’a ni passeport, ni genre, ni ethnie, ni parti politique… C’est l’un des biens mondiaux les plus précieux et elle doit être protégée ».   La science – et la liberté académique qui la rend possible – relie les individus, fait progresser les sociétés et offre les clés pour relever les défis mondiaux.

Dans un monde fracturé et fragile, les universités restent l’un de nos meilleurs espoirs pour le dialogue et le progrès. Mais cela n’est possible que si nous protégeons leur indépendance, préservons leur intégrité et renouvelons notre engagement collectif envers la liberté académique. Cette liberté n’est pas la propriété privée des professeurs et chercheurs. C’est un bien public dont nous bénéficions tous. Si nous la laissons s’étioler, nous perdons non seulement l’université, mais aussi notre capacité à comprendre et à façonner l’avenir.

Ne commettons pas cette erreur. Défendons fermement, ouvertement et collectivement, la liberté de penser.

Retrouvez le texte original en ligne ici / Find the English version of the text online here.

Signataires du texte: Annick Castiaux (UNamur), Jan Danckaert (VUB), Philippe Dubois (UMons), Herwig Leirs (UAntwerpen), Anne-Sophie Nyssen (ULiège), Annemie Schaus (ULB), Luc Sels (KU Leuven), Françoise Smets (UCLouvain), Rik Van de Walle (UGent), Bernard Vanheusden (UHasselt).