Le CRef est profondément inquiet de l’impact du projet de réforme des pensions sur le personnel académique des universités et ses conséquences sur leur capacité à exercer leurs missions fondamentales
Communiqué du Conseil des rectrices et recteurs du 19 avril 2025
1. Le Conseil des Rectrices et des Recteurs francophones (CRef) a pris connaissance avec inquiétude du projet de réforme des pensions envisagé par le Gouvernement qui contient des mesures d’adaptation des pensions des fonctionnaires. Cette réforme aura en particulier des répercussions considérables sur les niveaux futurs de la pension du personnel académique, du fait notamment de la superposition de plusieurs effets.
Le but de la présente note est d’en illustrer les impacts potentiels non seulement sur le personnel académique lui-même mais aussi, plus fondamentalement, sur la capacité des universités à exercer leurs missions d’enseignement, de recherche et de service à la société.
Le CRef constate en effet que ce projet contient pour les académiques :
a) Des mesures d’une ampleur inédite ;
b) Des mesures discriminatoires par rapport à d’autres catégories ;
c) Des mesures violant les règles en matière de transition ;
d) Des mesures ne respectant pas l’esprit affiché par la réforme ;
e) Des mesures engendrant une insécurité importante pour le futur.
2. Le personnel académique serait ainsi directement visé par trois mesures envisagées :
a) une révision du mode de calcul du traitement de référence servant au calcul de la pension ; actuellement la pension des fonctionnaires se base sur un traitement de référence égal à la moyenne des rémunérations des 10 dernières années ; ce traitement de référence passerait progressivement à une moyenne sur toute la carrière ;
b) une révision du système des tantièmes ; chaque année donne droit aujourd’hui à une pension égale à 1/48 de ce traitement de référence ; la réforme fait passer ce coefficient à 1/60 ;
c) un blocage du plafond de pension (plafond dit Wijninckx) et une indexation fortement limitée de toutes les pensions dépassant un plafond nouvellement introduit et basé sur le plafond de pension légale des travailleurs salariés. Ces mesures s’appliquant pour une première période de 4 ans mais reconductible par périodes successives de deux ans par simple arrêté royal.
Si la plupart des fonctionnaires ne seront dans les faits visés que par la première mesure, le personnel académique sera, en raison de la structure de carrière et de rémunération, parmi les rares catégories à subir directement l’impact combiné des trois mesures et ce, dans des proportions hors du commun, comme le démontrent les éléments chiffrés qui suivent et tant pour les nouveaux engagés que pour le personnel en place.
Le CRef reconnaît la nécessité d’une participation juste et proportionnée des académiques à l’effort collectif nécessaire pour préserver l’équilibre général du système belge de pension. Il exprime cependant sa vive inquiétude à l’égard des conséquences des mesures prévues sur la capacité des universités belges à attirer les talents de haut niveau nécessaires à l’exercice de leurs missions dans un contexte de concurrence internationale accrue.
A. Des mesures d’une ampleur inédite
3. L’application concomitante des trois mesures rappelées ci-avant conduit à une diminution
d’une ampleur sans précédent des pensions légales pour le personnel académique.
- 3.1. Pour un nouvel académique (année de pension prise en 2060), on peut estimer de la façon suivante la perte relative de pension selon les décisions qui pourraient être prises (hypothèse d’inflation annuelle de 3%) :
a) sur la base de la mesure inscrite dans le projet de loi programme, à savoir le blocage du plafond pour 4 ans, la pension diminuerait de 12% par rapport à la situation actuelle: taux de remplacement passant de 70% à 62%. Le taux de remplacement est le rapport entre la première pension et le dernier traitement. Il mesure donc en quelle proportion la pension remplace les revenus d’activité ;
b) si, à ce blocage pendant 4 ans, s’ajoutent les deux autres mesures projetées (révision du traitement de référence sur toute la carrière et révision des tantièmes), la pension diminuerait d’environ 25% (taux de remplacement passant de 70% à 50%) ;
c) si, en outre, le blocage du plafond perdure au-delà des 4 ans, jusqu’au moment où ce plafond fonctionnaire rattrape le plafond correspondant des salariés (soit une non-indexation durant 15 ans), la pension diminuerait de près de 40% (taux de remplacement passant de 70% à 43%).
d) Ce blocage persistant du plafond serait l’élément le plus dévastateur puisque dans cette hypothèse, même sans révision des tantièmes et du traitement de référence, la perte serait toujours d’environ 40%.
- 3.2. Contrairement à ce qui est annoncé dans la déclaration gouvernementale, les mesures envisagées ne sont pas du tout progressives dans le temps. Elles auront très rapidement un effet considérable également sur les académiques déjà en place.
Ainsi, pour un académique âgé de 45 ans en 2025 (année de pension : 2047), les pertes de
pension correspondantes sont les suivantes :
a) blocage du plafond pendant 4 ans : diminution de 12%
b) blocage du plafond pendant 4 ans et révision des tantièmes et traitement de référence : diminution de 16%
c) blocage du plafond pendant 15 ans et révision des tantièmes et traitement de référence : diminution de 40%
B. Des mesures discriminatoires par rapport à d’autres catégories
4. Pendant que le personnel académique subirait ainsi une réduction drastique de son niveau de pension légale qui se rapprocherait grandement de celui des travailleurs salariés, d’autres catégories de travailleurs qu’il s’agisse de cadres salariés ou de travailleurs indépendants ou professions libérales ne connaitront pas du tout une telle diminution de pension. En raison de sa structure salariale, on sait que le personnel académique à fonctions de responsabilité comparables dispose traditionnellement de traitements généralement inférieurs aux salaires du secteur privé qui se voit compensé par un niveau plus avantageux de pension légale. Le CRef constate que cet équilibre est totalement rompu par les projets du gouvernement.
Demain, le personnel académique aura à la fois des niveaux de traitements et des niveaux globaux de pension (pensions légales et pensions complémentaires cumulées) inférieurs aux collègues du secteur privé ou indépendants. En effet, ces derniers s’ils disposent d’une pension légale inférieure, se constituent des pensions complémentaires dont le taux de remplacement peut atteindre 80% des salaires, et ce sans aucun plafond absolu. Il n’est pas inutile de comparer ce niveau de 80% aux taux de remplacement futurs obtenus pour les académiques qui chuterait à 50% et moins selon les scénarios présentés ci-avant.
5. La possibilité évoquée dans l’accord de gouvernement de prévoir en compensation un système de pension complémentaire de deuxième pilier pour les fonctionnaires pourrait sans doute s’appliquer au personnel académique mais risque d’être sans effet à court et moyen termes. En effet, ces pensions complémentaires entreraient dans la limite du plafond Wijninckx lui-même gelé pour une durée indéterminée. Le blocage de ce plafond tue donc dans l’œuf pour de nombreuses générations d’académiques l’intérêt éventuel d’un deuxième pilier.
Le CRef s’inquiète dès lors de voir rapidement se dégrader la capacité des universités à attirer et à maintenir en leur sein des enseignants-chercheurs de talent, dynamiques et motivés alors que s’estompera rapidement l’un des seuls avantages comparatifs qui jouaient jusqu’ici en leur faveur.
C. Des mesures dérogeant aux règles en matière de transition
7. En cas de modification importante en cours de carrière d’un engagement de pension, qu’il s’agisse d’un régime légal de premier pilier ou d’un régime complémentaire de deuxième pilier, des règles de transition existent en vue d’éviter toute spoliation et reniement d’engagement.
A cet égard, deux types de mécanismes sont possibles :
– un mécanisme par cohorte : le nouveau régime ne concerne que les nouveaux engagés postérieurement au changement de plan ; tous les affiliés et retraités existants à cette date ne sont pas concernés par les changements.
– un mécanisme par années : le nouveau régime concerne toutes les années futures de travail postérieures à sa mise en application. Dans ce cas, le nouveau régime concerne bien sûr tous les nouveaux engagés mais aussi les affiliés existants pour leurs années futures de travail ; en revanche, le plan préexistant reste intégralement d’application pour les années de service antérieures à cette modification.
8. La règlementation belge a choisi ce deuxième mécanisme en matière de pensions complémentaires au travers du système dit de la gestion dynamique (Loi LPC sur les pensions complémentaires – Article 15 – AR du 14 novembre 2003 portant exécution de la Loi sur les pensions complémentaires), obligeant un employeur modifiant un plan de pension complémentaire à avoir recours à cette technique. Les années de service antérieures à la modification d’un plan de pension doivent continuer à être revalorisées dans l’ancien plan comme si celui-ci continuait à exister ; seules les années de service postérieures à la modification peuvent être valorisées dans la nouvelle formule. Ce mécanisme a précisément comme objectif d’éviter une remise en cause des droits acquis du passé et un reniement d’engagements pris qui conduirait à une chute brutale des prestations, comme celle qui pourrait être organisée pour les académiques.
Le CRef constate que les projets de réforme des pensions du gouvernement ne respectent aucune de ces deux alternatives et conduisent, comme montré au point 3.2 ci-dessus à une dégradation très rapide du taux de remplacement de la pension des académiques en place actuellement et ce, sans que ces derniers ne puissent d’une quelconque façon compenser (blocage des pensions complémentaires comme rappelé au point 5 ci avant). Le CRef est fortement préoccupé du sort ainsi réservé à ce qui serait une génération sacrifiée.
D. Des mesures ne respectant pas l’esprit affiché par la réforme
10. La déclaration gouvernementale, dans l’introduction de son volet pension, indique : « la progressivité et le respect des droits acquis sont les pierres angulaires des réformes que nous mettons en œuvre ».
Le CRef constate avec regret qu’il n’en n’est rien. L’ampleur et la vitesse de la diminution des prestations pour les académiques, associée à une absence de transition respectant les règles usuelles en la matière (en ce compris celles édictées par l’État belge lui-même), lui semble à l’opposé des principes avancés.
11. La déclaration gouvernementale indique en outre que « la loi permettra l’introduction d’un deuxième pilier pour les fonctionnaires statutaires qui sera également financé ».
Le blocage du plafond Wijninckx rend dans les faits cette logique de compensation de la baisse du premier pilier par un deuxième pilier, inopérante et hautement aléatoire puisque ce deuxième pilier pour statutaires serait également pris en compte dans la limite. Le CRef souhaite à cet égard une clarification de ce qui lui apparaît comme une incohérence.
E. Des mesures engendrant une insécurité importante pour le futur.
12. Le CRef constate que la mesure de blocage du plafond a un rôle prépondérant dans le niveau de pensions des académiques. Si le blocage se limite à 4 ans, celui-ci occasionne une baisse de 12% des pensions ; si ce blocage devait perdurer, la perte pourrait avoisiner les 40%.
Face à la porte laissée ouverte de maintenir le blocage (notamment dans une logique de faire converger les plafonds fonctionnaires et salariés), le CRef exprime sa vive inquiétude face à l’impossibilité pour un académique en cours de carrière, de prévoir le niveau effectif de sa retraite. Le climat d’incertitude et d’imprévisibilité qui en résulterait lui semble incompatible avec l’exerce serein de ses fonctions au sein de l’université.
Conclusion : une réforme porteuse de risques significatifs
6. Le CRef est donc au regret de constater que ces mesures vont amoindrir grandement l’attractivité du métier d’académique. Or, au cours des dernières décennies, d’autres paramètres sont venus affecter les académiques dans l’exercice de leur mission :
– Entrée de plus en plus tardive dans la carrière par l’exigence d’un voire plusieurs séjours postdoctoraux et tendance à l’allongement de périodes probatoires préalables à l’engagement définitif ;
– Concurrence accrue pour l’obtention de budgets de recherche en baisse et soumis à une concurrence internationale de plus en plus vive ;
– Accroissement des charges d’encadrement et de services en conséquence de la baisse tendancielle du financement par étudiant (enveloppe fermée) et de la complexité du suivi des parcours individualisés des étudiants.
En outre, le niveau de rémunération des académiques belges est très généralement inférieur à celui que l’on peut trouver dans d’autres pays. Le niveau intéressant de la pension constituait un argument précieux dans le cadre du package global proposé.
Le CRef est donc particulièrement inquiet de voir le statut académique remis en cause de façon aussi sévère. Sa crainte est de voir ainsi s’amoindrir fortement l’attractivité de la carrière académique dans les années qui viennent, et ce aussi bien vis-à-vis d’autres fonctions à responsabilité comparable comme cadre ou indépendant que vis-à-vis d’une fonction académique à l’étranger. L’impact sur la qualité de nos futurs chercheurs et enseignants risque d’être significatif, alors que par ailleurs, le contexte national et international souligne plus que jamais la nécessité d’investir dans la formation, la recherche et le développement qui constituent le cœur des missions des universités
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