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Les inquiétudes du monde académique et les menaces qui pèsent sur lui…

Publié le 19 avril 2025
Rédigé par CRef
La presse a très récemment révélé la décision du Président Trump de suspendre les financements fédéraux de la plus prestigieuse Université américaine : Harvard. On parle de plus de 2,2 milliards de dollars qui seraient gelés ; d’autres menaces pèsent sur les dispositifs fiscaux dont l’Université américaine bénéficie. De nombreuses Agences fédérales de recherche ont également été l’objet de coupes sombres et des milliers de chercheurs, ont été licenciés sur le champ. Ces décisions ont, contestablement, pour ambition de museler ces Institutions productrices de savoir et, tout particulièrement, en limitant la liberté académique. Sans que nous n’en soyons là aujourd’hui en Belgique, force est de constater que l’inquiétude est grande dans le monde académique.

Communiqué du Conseil des rectrices et recteurs du 19 avril 2025

Les différents Gouvernements aux prises avec des choix budgétaires, voire politiques, exercent sur les Universités une pression considérable. Les sources de cette inquiétude sont multiples. Elles ont trait à la diminution globale du financement des Universités et du FNRS ; aux financements de la Région wallonne, en réduction, et qui s’orientent de plus en plus vers des applications à court terme au détriment d’une recherche de base, essentielle au continuum du processus d’innovation ; aux questionnements sur le financement futur des sciences humaines, à la remise en question des nominations dans le secteur académique ou les réductions drastiques du montant des pensions de retraites. Si toutes les mesures annoncées à ce niveau sont activées, les académiques pourraient voir rapidement leur pension réduite de 30 à 40%. Aucune autre catégorie professionnelle, hormis les magistrats, ne connaitra une telle chute des pensions, entre autres en lien avec l’entrée tardive dans la carrière. Et ceci sans mécanisme compensatoire possible à court terme et au détriment du principe des droits acquis.

Ces questions ne sont donc pas seulement en lien avec le financement pur des activités des universités. Elles influent aussi sur l’attractivité même de la carrière académique qui joue pourtant un rôle essentiel de levier dans le développement durable de nos sociétés contemporaines. On est loin des déclarations du Sénat de 1965 lors des discussions sur l’expansion universitaire : « Les charges de l’enseignement, loin de constituer un poids mort, sont des dépenses éminemment productives, contribuant puissamment au développement économique du pays » (Sénat, Session 1964-65, doc. 162).

Les économies recherchées sur le dos des universités exercent sur ces dernières une pression considérable dans un contexte où leurs structures de financement les enferment dans un modèle économiquement absurde : augmentation continue du nombre d’étudiants au sein d’une enveloppe fermée, concurrence entre établissement en fonction des nombres d’étudiants, faible capacité à capturer des ressources alternatives aux subsides publics, etc. Les universités réalisent néanmoins un travail remarquable en regard de leurs ressources limitées. Elles forment des citoyennes et citoyens, elles produisent et diffusent de la connaissance, elles contribuent aux objectifs R&D de la Belgique, elles sont présentes à l’international. Elles effectuent aussi de nombreuses missions d’intérêt général : politique de la santé publique, soutien à la précarité des étudiants, participation à de nombreuses instances d’expertise ou consultatives, création d’entreprises, vie associative et culturelle. Une modification ou une érosion de leurs ressources sans une compréhension ou une réflexion profonde sur la structure de coûts et la base financière des universités est aussi dangereuse que déstabilisante. Les universités comprennent que la société fait face à de nombreux défis mais elles estiment que l’ensemble des réformes actuellement en discussion à divers niveaux de pouvoirs doit être jaugée, dans sa globalité. Il s’agit de pouvoir en mesurer les effets combinés et cumulés.

Parmi les menaces qui pèsent sur les Universités et Centres de recherche publics figure aussi la réforme du dispositif d’exonération du précompte professionnel de ceux qui pratiquent une activité concrète de recherche, dans le secteur public.

Pourtant, cette mesure a été initialement (Loi-Programme du 24 décembre 200) conçue pour promouvoir l’activité scientifique dans le secteur public. Elle a été progressivement élargie au privé, au point que celui-ci représente 69% des bénéficiaires de la mesure (et seulement 16% en faveur des Universités). La Cour des comptes et le Conseil fédéral de la Politique scientifique ont, à plusieurs reprises, plaidé pour un accroissement des contrôles sur l’application de ces mesures et une clarification du dispositif. Pas sa disparition. Bien au contraire.

Aujourd’hui, il semble pourtant que, seul le secteur public et donc, aussi les Universités, soient visés par les projets de réformes du Gouvernement Arizona. Or, ce dispositif représente, peu ou prou, 7% des recettes structurelles des Universités ! En revoir l’ampleur entraînerait donc des conséquences dramatiques sur le secteur académique et aurait, également, des conséquences sur l’enseignement dispensé dans les Universités, qui, avec la recherche scientifique et le service à la société, constituent les missions essentielles des Universités. Ce sont donc aussi les étudiants qui se verraient préjudiciés.

On s’interroge pourtant sur la pertinence de cette ambition politique. En effet, sur l’ensemble des dispositifs d’exonérations de précompte qui existent dans le Code des Impôts sur le Revenus (CIR-92), celles en lien avec la recherche dans les Universités, ne représentent que 4% du montant total des exonérations attribuées par l’Etat belge.* L’argument budgétaire n’est donc pas crédible.

Y aurait-il d’autres visées dans cette ambition politique et ce, en particulier, lorsqu’on sait la situation financière de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui serait incapable de compenser une telle réduction de ces mesures fiscales fédérales ? La fragilisation du monde académique et de ses missions serait, quoi qu’il en soit, dramatiques pour notre Communauté et viendraient précariser, plus encore, un des moteurs essentiels du redéploiement de la Wallonie, de Bruxelles et de leur population.

Les Rectrices et Recteur francophones sont résolus et déterminés à faire en sorte que cette mesure essentielle soit préservée en l’état et qu’une méthodologie stable, prévisible et adaptée soit confirmée via la rédaction de circulaires claires et applicables à l’ensemble des contrôles fiscaux régionaux.

Le communiqué officiel du CRef en PDF est disponible ici.

*  Selon des données du SPF Finances (2022), 34% de l’ensemble des moyens mis à disposition par l’Etat belge par le biais des dispositifs d’exonération de précompte (3,9 milliards d’€) sont affectés à la mesure en faveur de la recherche. Et, seulement entre 10 et 15% aux universités.