Entreprises en contexte de décroissance : nouveaux modèles de création de valeur sans croissance matérielle
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TypeDoctorat Post-doctorat
Description
1. Contexte et problématique scientifique
Les débats sur la décroissance et les limites planétaires remettent en question la centralité de la croissance du PIB et du chiffre d’affaires comme indicateurs quasi exclusifs de performance et de « succès » économique. Dans ce contexte, un certain nombre d’organisations (coopératives, structures de l’économie sociale et solidaire, entreprises libérées, entreprises à mission, initiatives locales, etc.) expérimentent des formes d’activité qui mettent l’accent sur :
– la suffisance (répondre aux besoins sans surenchère de consommation),
– la sobriété (réduction volontaire des flux de matières et d’énergie),
– la qualité des relations sociales et des conditions de travail,
– la régénération ou au minimum la préservation des écosystèmes.
Ces entreprises ne se revendiquent pas toujours explicitement de la « décroissance », mais leurs pratiques questionnent l’idée que la viabilité d’une organisation passe nécessairement par une croissance matérielle continue (augmentation des volumes produits, expansion géographique, multiplication des gammes…).
Parallèlement, se développent des indicateurs alternatifs (bien-être, empreinte écologique, empreinte carbone, impact social, santé des écosystèmes, qualité démocratique interne, etc.) qui prétendent mieux refléter la contribution réelle d’une organisation au « bien-vivre » plutôt qu’à la seule création de valeur monétaire.
Dans ce contexte, Comment des entreprises peuvent-elles se structurer et fonctionner dans une perspective de décroissance, en développant des modèles de création de valeur qui ne reposent pas sur la croissance matérielle, et en s’appuyant sur des indicateurs alternatifs pour guider leurs choix stratégiques ?
Il s’agit d’interroger :
les formes organisationnelles et modes de gouvernance compatibles avec des objectifs de suffisance/sobriété ;
les logiques économiques et les compromis (sur la rentabilité, la taille, la croissance) que ces organisations acceptent ou refusent ;
la manière dont des indicateurs alternatifs peuvent servir de boussole réelle (et non cosmétique) à la stratégie.
2. Objectifs de la thèse
La thèse poursuivrait plusieurs objectifs :
– Identifier et analyser des entreprises (coopératives, ESS, entreprises libérées, PME, structures locales, etc.) qui cherchent explicitement ou implicitement à s’inscrire dans une trajectoire de décroissance ou de post-croissance.
– Étudier leurs modes d’organisation et de gouvernance : répartition du pouvoir, prises de décision, partage de la valeur, place des parties prenantes, dispositifs de participation.
– Analyser les indicateurs et métriques qu’elles mobilisent pour piloter leur activité : au-delà du chiffre d’affaires, quels indicateurs de bien-être, d’impact social, d’impact environnemental, de résilience ? Comment sont-ils construits et utilisés ?
– Construire un cadre conceptuel de “modèle d’entreprise décroissant” : quelles sont ses caractéristiques constitutives ? dans quelles conditions est-il viable (économiquement, socialement, écologiquement) ?
– Évaluer la transférabilité et la faisabilité de ce modèle dans différents secteurs (services, industrie, numérique, agriculture, etc.).
3. Cadre théorique mobilisable (possible)
– Économie écologique et décroissance
– Critique de la croissance illimitée, notion de limites planétaires, soutenabilité forte vs faible.
– Concepts de post-croissance, de prosperity without growth, de suffisance.
– Théories des organisations et des modèles d’affaires
– Business models alternatifs (économie circulaire, économie de la fonctionnalité, économie collaborative, communs).
– Approches en termes d’entreprise orientée vers les parties prenantes, entreprise à mission, ESS.
– Indicateurs alternatifs et mesure de la performance
– Indicateurs de bien-être, de qualité de vie, d’empreinte écologique, d’impact social.
– Travaux sur la mesure multidimensionnelle de la performance (triple bottom line, etc.).
– Sociologie économique / socio-anthropologie des organisations
– Études de pratiques concrètes, de cultures organisationnelles, de rapports au travail et à la consommation.
– Dynamiques de pouvoir et de légitimité autour de la décroissance (ce qui est perçu comme « sérieux » ou non dans le monde économique).
5. Méthodologie possible
Une démarche principalement qualitative et comparative est particulièrement adaptée, avec éventuellement des compléments quantitatifs.
– Phase exploratoire
Revue de littérature pluridisciplinaire sur décroissance, post-croissance, ESS, business models alternatifs, indicateurs alternatifs.
Cartographie initiale d’initiatives pouvant être considérées comme « entreprises en contexte de décroissance » (ou post-croissance).
Études de cas approfondies
Sélection de plusieurs cas contrastés (coopératives industrielles, structures de services, entreprises numériques, structures territoriales, etc.).
– Recueil de données via :
entretiens avec dirigeants, salarié·es, membres, partenaires, parties prenantes territoriales,
analyse de documents (rapports d’activité, statuts, indicateurs internes, chartes éthiques, etc.),
éventuellement observations (réunions, assemblées générales, ateliers de décision).
– Analyse thématique des données pour identifier :
les logiques de création de valeur,
les dispositifs concrets de sobriété/suffisance/décroissance,
les indicateurs réellement utilisés et leur poids dans les décisions.
– Construction d’un cadre de “modèle d’entreprise décroissant”
– À partir des cas étudiés, formalisation des dimensions clés d’un modèle d’entreprise en décroissance :
structure de propriété et de gouvernance,
relation à la croissance/décroissance des volumes,
type de valeur produite et pour qui,
instruments de mesure et de pilotage,
rapports au territoire et aux écosystèmes.
– Mise en forme d’un cadre analytique permettant d’évaluer la proximité d’une entreprise avec ce modèle.
– Évaluation de la faisabilité sectorielle
6. Contributions attendues
Contributions théoriques
– Clarification du concept d’entreprise en décroissance et distinction d’avec d’autres notions (RSE, greenwashing, simple ralentissement de la croissance).
– Proposition d’un modèle d’entreprise décroissant articulant gouvernance, création de valeur et indicateurs de performance.
Contributions empiriques
– Documentation détaillée de pratiques d’entreprises qui s’éloignent du paradigme « croissance d’abord ».
– Identification de configurations organisationnelles et sectorielles dans lesquelles ce type de modèle est plus ou moins viable.
Contributions pratiques et politiques
– Outils de réflexion et de diagnostic pour des entreprises ou collectifs souhaitant se rapprocher d’une logique de décroissance/suffisance.
– Éléments d’orientation pour les politiques publiques et les dispositifs de soutien à l’ESS et à la transition (quels cadres réglementaires, quels instruments d’aide, quels indicateurs encourager).