« Inhibition de la voie PI3K/AKT/mTOR et délivrance ciblée du médicament, combinées en une nouvelle stratégie thérapeutique adressée au carcinome anaplasique thyroïdien » par Mme KAHVECIOGLU Zehra-Cagla
Défense publique de thèse de doctorat en vue de l’obtention du grade académique de Doctorat en Sciences biomédicales et pharmaceutiques.
Promotrice : Prof. Carmen Burtea, Service de Chimie générale, organique et biomédicale, UMONS
Co-promoteur : Prof. Sven Saussez, Service d’Anatomie Humaine et d’Oncologie Expérimentale, UMONS
Président du jury : Prof. Amandine Nachtergael, UMONS
Secrétaire du jury : Prof. Sophie Laurent, UMONS
Membres du jury :
- Prof. Pierre Duez, UMONS
- Prof. Didier Dequanter, Chir., Hôpital Saint-Pierre : Chef de département de Chirurgie générale, Professeur de Chirurgie à l’ULB
- Prof. Jean-Pierre Gillet, Professeur de “Preclinical Drug Development”, Chef du Laboratoire de Biologie moléculaire du cancer, Directeur du Département de Sciences Biomédicales, Université de Namur
- Prof. Myriam Remmelink, Hôpital Erasme, ULB, Cheffe du Service d’Anatomie pathologique, Professeure d’Anatomie Pathologique
Le cancer thyroïdien anaplasique (CTA) est une tumeur rare mais extrêmement agressive, représentant seulement 1 à 2 % de l’ensemble des cancers thyroïdiens et à l’origine de près de 39 % des décès qui y sont associés. Son pronostic est particulièrement sombre, avec une survie médiane estimée à quatre mois après le diagnostic, en dépit des prises en charge multimodales actuelles. La faible efficacité des traitements conventionnels justifie la nécessité de développer de nouvelles approches thérapeutiques ciblées. Sur le plan moléculaire, le CTA se caractérise par une dérégulation de voies de signalisation clés, en particulier la voie PIP3/AKT/mTOR (PAM), impliquée dans la survie cellulaire, la prolifération et la résistance aux traitements.
Par ailleurs, l’EGFR est fréquemment surexprimé dans ce type de tumeur, constituant à la fois un facteur d’agressivité et une cible thérapeutique et de délivrance privilégiée. Dans ce projet de thèse, nous avons développé une stratégie thérapeutique innovante reposant sur un complexe peptidique bifonctionnel combinant : (i) un peptide thérapeutique (PT) capable d’inhiber les interactions protéiques dépendantes du PIP3 et, par conséquent, l’activation de l’AKT, élément central de la voie PAM ; (ii) un peptide vecteur (PV) spécifique de l’EGFR, destiné à cibler spécifiquement les cellules tumorales et à favoriser la délivrance intracellulaire du PT.
Ces deux peptides, identifiés lors de travaux antérieurs grâce à la technologie du phage display et caractérisés initialement en dehors de ce projet de thèse, ont ensuite été couplés chimiquement pour former un complexe peptidique (CP). L’efficacité et l’innocuité de ce CP ont été évaluées dans le cadre de notre étude au moyen d’une approche intégrée in silico, in vitro, in vivo et ex vivo.
Nos résultats montrent que le PV possède une demi-vie théorique d’environ 100 heures et se fixe préférentiellement aux domaines I et III du récepteur, impliqués dans la liaison de l’EGF. Il présente une liaison plus élevée aux cellules et tissus tumoraux par rapport aux cellules thyroïdiennes normales, favorise l’endocytose du récepteur EGFR par la voie non dégradative et se concentre spécifiquement dans les tumeurs, où il est retenu plus longtemps que dans les tissus sains. Par ailleurs, le P20 agit comme un inhibiteur non compétitif de l’EGFR, sans interférer avec la fixation de l’EGF. Son absence de toxicité a été démontrée à la fois sur des lignées cellulaires (deux lignées CTA et une lignée thyroïdienne normale) et dans un modèle murin NMRI sain soumis à des injections trihebdomadaires pendant 22 jours. En réduisant l’expression et l’activation de l’EGFR ainsi que la phosphorylation de l’AKT, le P20 contribue déjà à un effet thérapeutique direct, tout en permettant le transport intracellulaire ciblé d’agents anticancéreux.
En parallèle, le peptide thérapeutique (PT) a montré une spécificité marquée pour le PIP3 par rapport aux autres phospholipides membranaires (6,4×10¹⁰ fois supérieure à celle pour la phosphatidylcholine et la phosphatidylsérine, et 11 fois supérieure à celle pour le phosphatidylinositol). Cette affinité élevée, confirmée par les tests de Kd et d’IC₅₀, permet au PT de bloquer efficacement la liaison de l’AKT sur le PIP3.L’évaluation expérimentale du CP a confirmé son efficacité thérapeutique. Dans les lignées de CTA (8505c et Cal-62), fortement activées au niveau de l’AKT, le CP a induit une apoptose marquée, avec une IC₅₀ de 5 µM, nettement inférieure à celle du TP seul (24 µM). L’analyse par cytométrie de flux avec l’annexine V, ainsi que les études d’immunofluorescence de la caspase-3 activée, ont confirmé une induction robuste de l’apoptose. In vivo, chez des souris Nude porteuses de tumeurs 8505c ou Cal-62, le traitement par le CP a significativement réduit la taille tumorale et augmenté les marqueurs d’apoptose. Les observations histologiques (coloration au Trichrome de Masson) ont mis en évidence des noyaux pycnotiques, caractéristiques de la mort cellulaire.
Sur le plan de la tolérance, aucune toxicité majeure n’a été détectée dans les principaux organes (cœur, reins, poumons, intestins). Les analyses hépatiques ont montré des anomalies (activation de la caspase-3 et élévation du ratio AST/ALT), probablement liées à l’anesthésie, sans atteinte histologique significative. Le profil métabolique du CP étudié dans un système acellulaire suggère une biotransformation partielle par les enzymes hépatiques de type cytochrome P450. Globalement, ces résultats confirment une toxicité systémique limitée et une bonne sélectivité tumorale.
Notre étude démontre qu’un complexe peptidique ciblant l’EGFR et inhibant la voie PAM constitue une approche prometteuse contre le CTA. Ce système combine la spécificité du ciblage médié par l’EGFR avec l’efficacité thérapeutique d’une inhibition directe de l’AKT, ouvrant la voie à une amélioration du pronostic des patients. Outre son potentiel thérapeutique, cette approche pourrait également contribuer au développement de nouvelles stratégies de diagnostic précoce et d’imagerie tumorale, en exploitant la dynamique de trafic intracellulaire de l’EGFR. Ainsi, le CP représente un prototype de thérapie ciblée de nouvelle génération, susceptible de transformer la prise en charge des CTA et, potentiellement, d’autres tumeurs solides dépendantes de la voie PAM.