défense de thèse de Monsieur Noé Wambreuse
Titre de la dissertation: « Study of the immune mechanisms of holothuroids (Holothuroidea, Echinodermata) under environmental pressure: an integrative approach ».
Promoteurs de thèse: Monsieur Guillaume Caulier, Monsieur Jérôme Delroisse, Monsieur Igor Eeckhaut
Résumé: Depuis les observations de Metchnikoff de cellules circulantes de larves d’étoile de mer qui l’a conduit à proposer sa théorie de la phagocytose, lui valant le prix Nobel en 1908, les échinodermes sont devenus un modèle de choix dans l’étude de l’évolution du système immunitaire. Parmi eux, les holothuries (concombres de mer) sont des organismes marins ayant une grande importance écologique, particulièrement dans les récifs coralliens, où en se nourrissant du sédiment ils participent à la bioturbation. De nombreuses espèces ont également une haute valeur commerciale en raison de leur valorisation comme bêches-de-mer dans la cuisine traditionnelle asiatique et certaines sont élevées en aquaculture dans ce but. Néanmoins, bien que de nombreuses études aient visé à caractériser leur système immunitaire, de nombreuses composantes de leur immunité restent encore mal comprises. En particulier, la diversité fonctionnelle de leurs cellules immunitaires – les cœlomocytes, reste encore sous-étudiée. L’étude du système immunitaire des holothuries, outre son grand intérêt en immunologie comparative, représente un enjeu important dans le but d’éviter ou de mieux prévenir certaines maladies qui touchent ces organismes, particulièrement en aquaculture.
Cette thèse a eu pour but de décrypter la diversité cellulaire et moléculaire dans l’immunité des holothuries. Elle a pour modèles deux espèces dont une indopacifique et tropicale – Holothuria scabra, et l’autre européenne et tempéré – Holothuria forskali. Pour ce premier axe de recherche, une approche intégrative a été utilisée, combinant à la fois des analyses morpho-fonctionnelles fines et des outils omiques tels que la transcriptomique et la protéomique afin d’étudier l’expression des gènes et d’identifier le répertoire moléculaire immunitaire des cœlomocytes. Une première révision des types de cœlomocytes chez différentes lignées d’holothuries et d’autres échinodermes, a démontré que certains paradigmes établis il y a plusieurs dizaines d’années sur les cœlomocytes, sont en fait erronés. En effet, les cellules vibratiles, considérées comme un type de cœlomocytes flagellées sont en fait des spermatozoïdes contaminants. Entre outre, les hémocytes, un type de cœlomocytes pigmentés décrit comme contenant de l’hémoglobine, montre une distribution plus importante que précédemment décrite comme étant limitée à certains ordres d’holothuries. L’analyse morphologique fine des cœlomocytes nous a permis de fournir une description détaillée des différents types cellulaires chez les deux espèces modèles de cette thèse. De plus la réponse immunitaire des cœlomocytes à des injections de lipopolysaccharides, une endotoxine bactérienne, a été étudiée par transcriptomique différentielle, permettant ainsi de souligner la complexité génétique du système immunitaire des holothuries. Chez l’espèce européenne H. forskali cette étude a été réalisée sur les deux fluides corporels principaux des holothuries, à savoir le liquide périviscéral et le liquide hydrovasculaire, le liquide hydrovasculaire étant particulièrement enrichi en hémocytes. En comparant leur expression génétique couplée à des analyses pigmentaires, il a été démontré que la pigmentation de ces cellules est plutôt due à une forte concentration de caroténoïdes, de puissants antioxydants, et non à la présence d’hémoglobine. Nous avons donc décidé de renommer ce type cellulaire « caroténocytes ». Une analyse fonctionnelle plus poussée suggère que ces cellules ont une fonction clé dans la réponse immunitaire en régulant la concentration d’espèces réactives de l’oxygène. Finalement, l’usage de la transcriptomique par cellules uniques (single-cell RNA-sequencing) a permis de révéler la diversité d’expression des gènes des cœlomocytes, confirmant ainsi les résultats d’expression de gènes obtenus pour les caroténocytes.
Le deuxième axe de recherche de cette thèse s’est intéressé au développement du syndrome d’ulcération de la peau (Skin Ulceration Syndrome – SUS) chez l’espèce aquacultivée à Madagascar H. scabra. Une étude transcriptomique a été réalisée sur la zone ulcérée du tégument d’individus adultes, révélant que, chez un même individu, le tégument ulcéré et non ulcéré présentait une expression génétique similaire, mais différente de celle observée chez des individus sains, ce qui suggère un effet général du syndrome plutôt qu’une infection localisée. Des études ultérieures ont montré que la prévalence du syndrome augmentait à la saison froide, supposée affaiblir les défenses immunitaires des holothuries. Cette hypothèse a donc été testée expérimentalement sur des juvéniles exposés à des variations de température à la hausse et à la baisse, avec et sans immunostimulation, en réalisant un suivi de l’émergence du syndrome, une analyse comportementale, et différents outils omiques (transcriptomique et métabonomique). Les principaux résultats de cette étude sont que les individus exposés à des changements de température, ont plus de chance de développer le syndrome. Couplés aux différentes analyses, ils suggèrent qu’en condition de changement de température, l’allocation énergétique pour les défenses immunitaires est réduite permettant le développement du syndrome, ce qui est assez préoccupant car les prédictions climatiques montrent une augmentation des épisodes extrêmes de changement de température dans les décennies à venir.
Cette thèse a donc permis d’approfondir les connaissances sur le fonctionnement immunitaire des holothuries, offrant une nouvelle base dans l’étude moléculaire des cœlomocytes, et de mettre en évidence comment des facteurs environnementaux peuvent altérer ces défenses immunitaires et mener au développement de maladies.
Abstract
Since Metchnikoff’s observations of circulating cells in starfish larvae, which led him to propose his theory of phagocytosis and earned him the Nobel Prize in 1908, echinoderms have become a model of choice in the study of the evolution of the immune system. Among them, holothuroids (sea cucumbers) are marine organisms of great ecological importance, particularly in coral reefs, where they contribute to bioturbation by ingesting sediment. Many species also have high commercial value due to their use as bêches-de-mer in traditional Asian cuisine; some are even farmed for this purpose. However, although numerous studies have sought to characterise their immune system, several of its components remain poorly understood. In particular, the functional diversity of their immune cells – coelomocytes – remains largely understudied. The study of the immune system of sea cucumbers, in addition to its great interest in comparative immunology, is an important challenge in the prevention of certain diseases affecting these organisms, particularly in an aquaculture context.
The first axis of research focus of this thesis is to better understand the cellular and molecular diversity in holothuroid immunity. It uses two species as models, one Indopacific and tropical – Holothuria scabra, and the other European and temperate – Holothuria forskali. For this first research axis, an integrative approach was used, combining detailed morpho-functional analyses with the use of omics tools such as transcriptomics and proteomics to study gene expression and identify the molecular immune repertoire of coelomocytes. An initial review of coelomocyte types in different holothuroid lineages and other echinoderms has shown that some paradigms established several decades ago on coelomocytes are, in fact, incorrect. Indeed, vibratile cells, considered to be a type of flagellated coelomocytes, are actually contaminating spermatozoa. In addition, hemocytes, a type of pigmented coelomocytes described as containing haemoglobin, show a wider distribution than previously described as being limited to certain orders of holothuroids. Detailed morphological analysis of coelomocytes has enabled us to provide a detailed description of the different cell types in the two model species used in this thesis. In addition, the immune response of coelomocytes to injections of lipopolysaccharides, a bacterial endotoxin, was studied by differential transcriptomics, highlighting the genetic complexity of the holothuroid immune system. In the European species H. forskali, this study was carried out on the two main body fluids, namely the perivisceral fluid and the hydrovascular fluid, the latter being particularly enriched in hemocytes. By comparing their gene expression with pigment analyses, it was demonstrated that the pigmentation of these cells is due to a high concentration of carotenoids, powerful antioxidants, rather than the presence of haemoglobin. We therefore decided to rename this cell type “carotenocytes”. Further functional analysis suggests that these cells play a key role in the immune response by regulating the concentration of reactive oxygen species. Finally, the use of single-cell transcriptomics (single-cell RNA sequencing) revealed the diversity of gene expression in coelomocytes, confirming the gene expression results obtained for carotenocytes.
The second axis of research in this thesis focused on the development of skin ulceration syndrome (SUS) in the aquacultivated species H. scabra in Madagascar. A first transcriptomic study was carried out on the ulcerated area of the integument of adult individuals, revealing that, in the same individual, the ulcerated and non-ulcerated integument showed similar gene expression, but different from that observed in healthy individuals, suggesting a general effect of the syndrome rather than a localised infection. Previous studies conducted by the laboratory showed that the prevalence of the syndrome increased during the cold season, which is thought to weaken the immune defences of sea cucumbers. This hypothesis was therefore tested experimentally on juveniles exposed to rising and falling temperatures, with and without immunostimulation, by monitoring the emergence of the syndrome, behavioural analysis, and transcriptomic and metabolomic analyses. The main findings of this study are that individuals exposed to temperature changes are more likely to develop the syndrome, regardless of whether they are immunostimulated or not. Coupled with the various analyses, they suggest that under conditions of temperature change, energy allocation for immune defences is reduced, allowing the syndrome to develop. This is worrying in view of climate predictions that show an increase in extreme episodes of temperature change in the coming decades.
This thesis has therefore deepened our understanding of the immune functioning of sea cucumbers, providing a new basis for the molecular study of coelomocytes and highlighting how environmental factors can alter these immune defences and lead to the development of disease.
7000 Mons, Belgium