Colloque : Le cinéma de genre, un cinéma très politique
Présentation du colloque
Les liens entre arts et politique ne sont plus à démontrer. Parmi les premiers, le rapport du cinéma à l’univers politique[1] a fait l’objet de plusieurs études[2], de même que pour la musique (y compris le rock’n roll[3] ou le punk[4]) ou, plus récemment, pour les séries télévisées[5]. Si différents aspects (l’esthétique, l’engagement, le contenu philosophique ou idéologique, etc.) du cinéma ont été étudiés, il n’existe aucun colloque analysant le cinéma dit de « genre », considéré comme un registre cinématographique mineur. En effet, les termes « cinéma de genre » et « film de genre » renvoient à un genre cinématographique précis, comme les films d’horreur, de zombies, de science-fiction, de survivalistes, de justiciers, de kung-fu, ou les western spaghettis, etc. Le cinéma pornographique peut être considéré comme un registre à part entière relevant de cette catégorie. Nous proposons de pallier cette lacune avec ce colloque, qui portera sur le contenu idéologique et politique de ce registre.
De fait, le cinéma dit de « genre » est souvent synonyme de cinéma de divertissement. Pire, le terme est fréquemment associé aux notions de série B, voire de cinéma d’exploitation. Pour autant, il n’est pas non plus incompatible avec celle de cinéma d’auteur, lorsque des cinéastes transcendent les conventions et les frontières cinématographiques.
En effet, l’aspect politique n’est pas absent de ces œuvres cinématographiques. Pensons, par exemple, à la critique de la société de consommation dans les films de zombies, en particulier dans ceux de George A. Romero[6] ; les sous-entendus anarchistes dans le cinéma de John Carpenter ; le patriotisme chez Chuck Norris ou Steven Seagal[7] ; la critique de la technique dans les films de science-fiction[8] ; la critique de la société franquiste chez Jess Franco ; les films de fantômes et la culpabilité politique ; le néo-polar et la critique de la société italienne[9] ; les liens entre la blaxploitation et le combat des droits civiques des Afro-Américains[10] ou le revenge movie comme apologie de la culture politique individualiste[11]. Cette liste est évidemment loin d’être exhaustive.
Mais comment pouvons-nous définir précisément ce que sont les « films de genre » ? Relèvent-ils du nanar[12] ? Le cinéma d’art et d’essai, comme ceux, par exemple, de Kenneth Anger[13] ou de Derek Jarman[14], en fait-il partie ? Les films de genre doivent-ils forcément choquer ou provoquer ? Sont-ils subversifs, ou peuvent-ils être juste ludiques ? Afin de répondre à ces questionnements, nous proposons plusieurs axes d’interventions, mais cette liste n’est pas exhaustive :
1/De quoi les « films de genre » sont-ils le nom ?
1.a/ Cet axe se propose d’expliciter les différences entre : films de genre ; cinéma commercial ; cinéma populaire ; série B ; série Z ; nanar ; navet ; cinéma bis ; cinéma d’exploitation ; films de contre-culture ; films de sous-culture… Ce travail de définition est capital pour comprendre de quoi nous traitons : un film comme Iron Sky (Timo Vuorensola, 2012) relève de quelle catégorie ?
1.b/ En lien avec ce premier point, il nécessaire de revenir sur les lieux où les genres sont (encore) listés et ont (encore) un sens : magazines/sites de cinéma et de télévision (aujourd’hui, dans Télérama, la mention du genre figure encore mais est « loufoque ») ; revues/sites spécialisés ou de fans ; catalogues de VHS ; plateformes de streaming, etc.
2/ Petite histoire des lieux où voir des films de genre
Les « grands » genres (western ; horreur ; policier ; comédie ; kung-fu ; aventure ; historique ; fantastique ; érotique) étaient visibles selon certaines modalités et dans certains lieux avant que le numérique permette un accès démultiplié à l’offre :
2.a/ Cinémas de quartier (jusqu’aux années 1980) ;
2.b/ VHS puis DVD (jusqu’aux années 2000)
2.c/ Télévision (« La dernière séance » sur FR3, « Cinéma trash » sur Arte, « cinéma de quartier » ou « Quartier interdit » sur Canal+) ; cinémathèque (la programmation « cinéma bis » et « nuits excentriques » par exemple) …
Il serait intéressant de rappeler cette histoire.
3/ Les films de genre entre réhabilitation et légitimation
Ce double processus est apparu du côté du public d’abord, ensuite du côté des critiques « savantes ». Des films dit de genre ont été réhabilités parce qu’ils auraient quelque chose d’intéressant à dire (pensons aux films de zombie, à New York 1997 ou Invasion Los Angeles de Carpenter), parfois en lien avec le courant de la « nanarophilie »[15]. En outre, la « légitimité culturelle », celle conférée par les élites, a été battue en brèche depuis la fin du modèle de cinéphilie de l’après-guerre (revue, ciné-club, « auteurs »), la diffusion des films se faisant aujourd’hui par de multiples canaux, en lien avec la reconnaissance de l’éclectisme dans les pratiques culturelles.
4/Et quand les « auteurs » s’y mettent…
4.a/ Aujourd’hui, la distinction entre film d’« auteur » et films de genre n’est plus pertinente dans la mesure où la notion d’ « auteur » s’est libérée de la stricte définition issue de la cinéphilie depuis les années 1920 jusqu’à La Nouvelle Vague. Dès lors, les « auteurs » se lancent dans les films de genre, comme le montre l’appel à projet du Centre national du cinéma et de l’image animée[16].
4.b/Enfin, nous pouvons nous demander si ce phénomène est si récent ? En effet, les grandes revues de cinéma de l’après-guerre n’ont pas hésité à réhabiliter certains westerns en qualifiant leur réalisateur d’« auteur »)[17].
5/Le genre dans les films de genre
Les films de genre mettent aussi en scène les rapports de genre.
5.a/ Il faudra se pencher sur les personnages féminins des films de genre, les héroïnes seules ou en groupe (les films de « squad »), voire les versions « féminines » de, par exemple, Dracula, Tarzan ou Zorro.
5.b/ Il faudra aussi interroger le rapport entre les films de genre et la répétition ou l’identification d’« archétypes » (la « bimbo » visible dans les nanars) connus et reconnus et se demander si certains films de genre ont proposé d’autres modèles de rapports genrés[18].
6/Chacun cherche son genre
Une dernière catégorie de contributions pourrait être consacrée à des études « monographiques » sur certains films ou certains genres. Elle servirait de « rattrapage » pour les communications intéressantes que ne pourraient pas être placées dans les autres axes de ce colloque.
Du fait du nombre de panels proposés, les interventions dureront 20 minutes. La publication d’Actes est envisagée. En lien avec ce colloque, des conférences avec des acteurs du milieu cinématographique (acteurs, réalisateurs, journalistes) et des projections de films seront organisées le soir au Plaza, un cinéma montois.
Modalités de soumission
Les propositions d’intervention (500 mots maximum, avec qualités, adresse administrative et email) sont à transmettre à l’adresse suivante colloquecinemamons25@gmail.com avant le 30 mai 2024
Réponse aux propositions : 30 septembre 2024.
Comité scientifique
Mélanie Boissonneau, Damien Darcis, Stéphane François, Marc Gauchée, Amélie Honorez, Quentin Mazel, Thomas Pillard, Yann Roblou, Mehdi Semoulin, Emmanuel Taïeb.
Références
[1] On dénommera ainsi l’ensemble composé du politique (espace de débat sur l’avenir du groupe social) et de la politique (arène symbolique de compétition pour le pouvoir).
[2] Par exemple, le colloque co-organisé par l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonnes et l’Université Lyon II consacré aux « Manifestations politiques au cinéma » en 2020 ; ou « Critique du cinéma : cinéma et marxisme. Pensées, formes et engagements », Université de Caen, les 4-6 avril 2022.
[3] Anne Benetollo, Rock et politique, Paris, L’Harmattan, 1999.
[4] Par exemple, “Punk is not dead” Une histoire de la scène punk en France (1976-2016), en 2022.
[5] Par exemple, Lefebvre Rémi et Taïeb Emmanuel (dir.), Séries politiques. Le pouvoir entre fiction et vérité, Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2020.
[6] Pinto, Alfonso. « Espace et société dans le cinéma des Zombies », Annales de géographie, vol. 695-696, no. 1-2, 2014, pp. 706-724.
[7] Valantin, Jean-Michel. « Production américaine de stratégie et production cinématographique », Les Champs de Mars, vol. 12, no. 2, 2002, pp. 145-166.
[8] Christian Chelebourg, Les Écofictions. Mythologies de la fin du monde, Les Impressions nouvelles, 2012. MUSSET Alain, Le Syndrome de Babylone. Géofictions de l’apocalypse, Paris, Armand Colin, 2012.
[9] « Le polar entre critique sociale et désenchantement », Mouvements, vol. no15-16, no. 3, 2001, pp. 5-7. Roberto Curti, Italia odia. Il cinema poliziesco italiano, Lindau Editore, 2006
[10] Constantin Apovo, La Blaxploitation, un autre regard, thèse, soutenue à l’EHESS, 2017.
[11] Pramudiya, Aldi, Erwin Oktoma, and Yuniarti Yuniarti, « The Representation of Toxic Masculinity in the “Do Revenge” Movie », Journey: Journal of English Language and Pedagogy, 6.3 (2023), pp. 721-732.
[12] Nicolas Lahaye, Le « nanar » : cinéma de genre et cinéma populaire, des années 1960 à nos jours, Thèse de doctorat en Histoire contemporaine, soutenue en 2014 à Versailles-St Quentin en Yvelines.
[13] Olivier Assayas, Kenneth Anger, Paris, Les Cahiers du cinéma, collection « Auteurs », 1999
[14] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-vie-une-oeuvre/derek-jarman-cineaste-queer-1942-1994-1044741
[15] Thierry Baubias, « La réception au second degré, étude du regard nanarophilique », Lignes de fuite : la revue électronique du cinéma, n° 4, juillet 2008.
[16] https://www.cnc.fr/professionnels/aides-et-financements/cinema/production/appel-a-projets-de-films-de-genre_563143
[17] Par exemple, Slim Ben Cheikh, « Le western par qui le scandale arrive : Ulzana’s Raid (Fureur apache) Robert Aldrich », L’Art du Cinema, Paris, n°79-81, 1972, pp. 89-97.
[18] Adrienne Boutang, « Réinventer la transgression, interroger la norme : stratégies de démarcation dans le secteur indépendant du cinéma américain contemporain », Les Cahiers de l’Afeccav, 2012 ; Marine Bohin et Julien Richard-Thomson, Le cinéma de genre au féminin, Jagaurundi, 2023.