L’affaire Dreyfus : 100 ans après
L’affaire Dreyfus : de l’erreur judiciaire à l’horreur judiciaire
Raconter plus de 10 ans d’impondérables judiciaires en 2 heures, c’est un exploit que Roger Lorent, avocat au barreau de Charleroi, a réalisé pour un public conquis par la clarté de son discours et impressionné par tant de connaissances. Etudiants, hauts magistrats et grand public se sont partagés l’auditoire de la salle académique pour écouter un récit historique, celui de l’affaire Dreyfus.
Né d’une famille honorable, mais très modeste de la région de Charleroi, Roger Lorent, 87 ans, prendra prochainement une retraite bien méritée. En âme généreuse, ce Docteur en Droit a récemment cédé sa bibliothèque historique de droit à l’UMONS. « Patrick Vassart et moi-même avons procédé à une rapine », se plaît à expliquer Christian Jassogne, Président de l’Ecole de Droit, dans son introduction qui a été aussi l’occasion de dépeindre l’ambiance de la France en 1894 quand on a arrêté Dreyfus.
Emu de se retrouver pour la première fois à une tribune universitaire, Roger Lorent est entré dans le vif du sujet en brossant les portraits de quelques personnages importants à commencer par Alfred Dreyfus, tenant le premier rôle dans cette affaire.
Né en 1859 à Mulhouse, fils d’un petit industriel, Alfred Dreyfus a des frères et sœurs. À son 11e anniversaire, sa famille quitte l’Alsace et les Allemands qui y défilent, pour rejoindre la France. A 13 ans, sa vocation est trouvée: il veut être soldat. Il rejoint alors l’école militaire, se marie et devient père de deux enfants.
En 1894, à 35 ans, sa vie s’effondre. Mais que s’est-il passé pour que le chef d’Etat-major général de l’armée l’assigne à faire un exercice d’écriture pour haute trahison ? Le fameux bordereau, dont M. Lorent donne une lecture partielle, fait état d’un traître au sein de l’armée. Après quelques déductions hâtives, l’Etat-major considère qu’il s’agit d’un artilleur, ancien stagiaire et juif : Dreyfus est déjà jugé !
Seulement deux mois après son arrestation du 15 octobre 1894, Dreyfus est condamné au bagne à vie par le Conseil de guerre. Le Capitaine Dreyfus est alors déporté en Guyane, sur l’île du Diable, bien qu’il nie tout. Des années plus tard (en 1896), Mathieu Dreyfus va mettre fin au silence qui pèse sur cette affaire étouffée en lançant la rumeur que son frère s’est évadé. D’autres éléments de l’enquête remontent alors à la surface.
On trouve trace d’un autre traître, le Capitaine Esterhazy mais celui-ci est acquitté par le Conseil de guerre. Emile Zola, Dreyfusard comme de nombreux partisans qui militent contre l’erreur judiciaire dont Dreyfus est victime, publie sa lettre au Président de la République (« J’accuse », dans le journal « L’Aurore ») qui le conduira devant la cour d’Assises pour diffamation publique ; il est condamné.
Cette condamnation trouble l’ordre public. Les révisionnistes s’en prennent aux antisémites et vice versa. Pour calmer cette agitation, l’état-major décide d’arrêter le lieutenant-colonel Picquart qui a dénoncé cette horreur judiciaire. Mais un nouvel examen d’une pièce à conviction révèle que ces 3 morceaux n’étaient pas les mêmes. Une procédure en révision de l’affaire s’ouvre à la Cour de Cassation. En 1899, l’arrêt condamnant Dreyfus est annulé.
Un nouveau Conseil de guerre a été décidé. Le Capitaine Dreyfus est encore condamné à 10 ans de bagne mais sa fragile santé va lui faire bénéficier de la grâce du nouveau Président de la République.
Les révisionnistes ne veulent pas en rester là et s’insurgent contre l’amnistie générale déclarée et qui enterre la vérité en ne poursuivant pas les responsables de cette horreur judiciaire. Le second « J’accuse » est publié. Dreyfus, quant à lui, veut son acquittement. Finalement, l’affaire est de nouveau soumise à la Cour de Cassation qui rend l’arrêt de 1906, lavant Dreyfus de tout soupçon.
L’affaire Dreyfus, un marathon judiciaire qui soulève un problème encore d’actualité : l’antisémitisme. Roger Lorent a conclu sa conférence, avant de répondre aux questions du public, sur une phrase teintée de positivité : « La justice est un exercice périlleux mais il faut croire en elle ! »