Comment, depuis cette rentrée, la crise sanitaire a impacté les pratiques pédagogiques et augmenté les inégalités scolaires
Une équipe de chercheurs de l’Ecole de Formation des Enseignants et de l’Institut d’Administration Scolaire de l’Université de Mons (UMONS) a interrogé près de 1.000 enseignants et enseignantes de l’enseignement maternel, primaire et secondaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur les pratiques que ces derniers/dernières ont mises en œuvre au sein de leurs classes depuis la rentrée scolaire 2020-2021.
« En juin dernier, contextualise le Prof. Natacha Duroisin (Ecole de Formation des Enseignants), qui a coordonné et mené la recherche, nous avions lancé une première enquête qui portait sur les pratiques enseignantes en période de confinement. Un de nos objectifs était d’obtenir des informations sur la manière dont les enseignant.e.s étaient parvenus, dans la précipitation, sans préparation préalable étant donné le contexte, à dispenser les enseignements à distance. Suite au succès de cette première enquête, nous en avons proposé une deuxième qui porte cette fois sur la manière dont les enseignant.e.s ont réussi à gérer la rentrée scolaire 2020-2021 et qui explore différentes thématiques telles que les inégalités scolaires, les apprentissages scolaires, l’usage du numérique, les actions d’enseignement, les difficultés rencontrées, le positionnement des enseignants par rapport aux prescriptions légales (circulaires), la gestion de classe, le bien-être… ».
Hormis le fait d’offrir aux enseignant.e.s la possibilité de s’exprimer sur le particularisme de la situation actuelle, les auteurs de ces enquêtes (le Prof. Natacha Duroisin est épaulée par Romain Beauset, Laurie Simon, Chloé Tanghe, Manon Leclercq et Armelle Flamand) poursuivent plusieurs autres objectifs :
- fournir un état des lieux de la situation d’enseignement-apprentissage en temps de pandémie ;
- s’intéresser aux différences de situations pouvant exister entre les pays en comparant ces résultats avec les données provenant d’autres pays (situés en Europe et hors d’Europe) ;
- percevoir comment les perceptions et pratiques enseignantes évoluent aux étapes clés de cette période de crise sanitaire ;
- relever des pistes et des recommandations pour tirer parti de la crise sanitaire et repenser une école post-Covid.
Sous réserve de financement, une troisième enquête pourrait être réalisée.
En attendant, cette 2e enquête a donc porté spécifiquement sur les pratiques enseignantes adoptées à la rentrée scolaire 2020-2021. Elle s’est déroulée en ligne du 30 septembre 2020 au 7 novembre 2020.
Ses résultats sont issus de 518 questionnaires complétés par des enseignant.e.s avec un minimum de 50 % de réponses.
Même si le rapport de recherche complet ne sera disponible que tout prochainement sur le site www.capte.be (là où vous pourrez également retrouver les résultats de la première), l’équipe de chercheurs de l’UMONS peut déjà mettre en évidence certains résultats intéressants qui sont repris ci-dessous.
L’impact du masque et de la distanciation
Bien que 88,7% des enseignants étaient enthousiastes à l’idée de reprendre les cours en présentiel dès la rentrée 2020-2021 (ce mode de rentrée étant d’ailleurs plébiscité par 77,3% des répondants par rapport aux modes de rentrée hybride et distanciel), cette rentrée s’est vue « perturbée » par la mise en place de diverses recommandations liées à la crise sanitaire de la Covid-19 telles que la distanciation physique et le port du masque pour eux et leurs élèves de plus de 12 ans.
Le masque porté par l’enseignant est perçu comme contraignant par 72,1% des répondants et ce sentiment semble être davantage présent chez les enseignants du primaire, en particulier ceux de première année. Ceci pourrait notamment être expliqué par le fait que ce port du masque rend plus difficile certains apprentissages (identification de phonèmes lors de l’apprentissage de la lecture, par exemple mais aussi activités physiques). Il est, en outre, jugé comme non rassurant par 41,8% des répondants.
Pour ce qui est du port du masque par l’élève, il est jugé problématique pour 48,8% des enseignants. Les raisons évoquées par certains enseignants sont la fatigue, des problèmes de compréhension lors d’exercices oraux ou encore une communication non-verbale amoindrie.
Quant au respect de la distanciation sociale, son respect semble globalement impossible pour 78,9% des répondants, qui mettent en cause un nombre trop élevé d’élèves par classe étant donné la taille des locaux.
Par ailleurs, cette enquête permet de révéler que ces recommandations ne sont pas sans effet sur les pratiques enseignantes. 62,5 % des répondants indiquent que les mesures sanitaires (port du masque et distanciation sociale) les contraignent à l’enseignement magistral.
Une reprise des cours en présentiel attendue
Concernant un éventuel stress dû aux conditions actuelles, 44,9% des enseignants disent qu’ils ne sont pas stressés par la situation sanitaire vécue, 36,8% des enseignants se disent un peu stressés par la situation et 18,3% indiquent que la situation sanitaire vécue entraîne beaucoup de stress.
L’enquête montre que l’enseignement en présentiel est davantage plébiscité par les enseignants (77,3%). Alors que l’enseignement hybride est choisi par près d’un enseignant sur cinq (19,4%), il apparait que la reprise des cours uniquement à distance n’est souhaitée que par un faible pourcentage d’enseignants (3,3%).
Une modification des pratiques et des priorités pédagogiques
Les résultats de cette seconde enquête mettent également en évidence que plus de la moitié (57,6%) des enseignants interrogés ont dû envisager une rentrée scolaire 2020-2021 différente de celles des années précédentes tandis que 42,4% d’entre eux ont débuté l’année scolaire de manière habituelle.
Parmi ces pratiques différentes mobilisées figurent :
- la mobilisation de ressources en ligne ;
- la mise en ligne de séances de cours ;
- la communication accrue avec les familles ;
- la différenciation des apprentissages ;
- la mise en place de la classe inversée;
- une meilleure évaluation des élèves.
En tout début d’année scolaire, 70% des enseignants interrogés déclarent avoir consacré du temps en début de cours pour permettre aux élèves d’exprimer leurs émotions (comment vivent-ils cette pandémie ?) par rapport à la situation sanitaire.
Pour près d’un tiers d’entre eux (30,3%), l’élément primordial à travailler était même la motivation des élèves, alors que la préparation des élèves à l’utilisation des outils d’apprentissage à distance ressort comme l’élément le moins prioritaire.
Les actions menées par les enseignants en début d’année parlent d’elles-mêmes : la priorité est placée sur le « rattrapage de la situation » (rattraper les apprentissages avec des rappels concernant des apprentissages essentiels, exercices de remise à niveau…) plutôt que sur l’anticipation d’un éventuel deuxième confinement (préparation aux outils numériques).
Parmi les enseignants interrogés, 52,4% (davantage issus de l’enseignement ordinaire) ressentent une pression due à un éventuel retard dans le programme alors que 47,6% des enseignants indiquent ne pas ressentir cette pression scolaire.
Le recours à une large palette d’outils numériques
Les enseignants utilisent-ils encore les outils numériques découverts lors du premier confinement ? 42,4% disent encore les utiliser depuis cette rentrée tandis que 57,6% ne les utilisent plus pour les raisons suivantes :
- 11,2% trouvent cela chronophage
- 10% n’envoient plus l’utilité
- 7,7% ne se sentent pas à l’aise
- 7,3% estiment l’expérience passée non concluante pour eux
- 7,1% estiment l’expérience passée non concluante pour leurs élève
Les plateformes telles que Smartschool®, Google Classroom®, Teams®,…sont utilisées par près de 81% des enseignants qui utilisent des outils numériques depuis la rentrée.
On remarque également qu’après l’utilisation de ces plateformes éducatives, les enseignants font usage de la boite courriel (50,7% des répondants l’utilisent).
Ensuite, 27,4% des enseignants disent utiliser des outils numériques pédagogiques comme Padlet®, Lino® ou encore Stoodle®.
D’autres plateformes à l’instar de YouTube® ou Zoom®, ont par ailleurs été employées par 18,3% des enseignants.
Les outils liés à l’utilisation des réseaux sociaux (Messenger®, Facebook®, WhatsApp®) ont également été mentionnés par un certain pourcentage de répondants.
Une amplification des inégalités scolaires
Enfin, parmi les enseignants répondants, 92% d’entre eux s’accordent pour dire que la période de confinement a amplifié les inégalités scolaires.
Une majorité d’enseignants (53,4%) estime que l’écart entre élèves plus faibles et plus forts s’est creusé et que cet écart a été visible lors de la rentrée scolaire.
Plus d’infos ? Prof. Natacha Duroisin, Ecole de Formation des Enseignants, Université de Mons, natacha.duroisin@umons.ac.be