Les jeunes en ligne et les groomers : un problème de santé publique ?
Thierry Pham est psychologue et professeur à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education à l’Université de Mons. Sa spécialité ? L’analyse des comportements sexuels déviants des agresseurs « on line ». Il a tenu une conférence à ce sujet, ce mardi 29 septembre 2015, dans les locaux de l’UMONS à Charleroi.
3 questions à Thierry Pham
Dans le cadre du cycle de conférences « Les Invités de l’UMONS » – organisé pour la quatrième année consécutive sur le campus de Charleroi -, le Professeur Thierry Pham a abordé notamment le phénomène de grooming, les risques de récidives chez les agresseurs en ligne et décrit les différentes formes de profils du cyber-délinquant et de la victime.
Internet est une ressource utilisée par les jeunes de par le monde. L’on sait aussi que ces moyens de télécommunication sont utilisés plus précocement qu’auparavant… cela représente-t-il une problématique pour la santé mentale ? Doit-on favoriser le « débranchage » des jeunes utilisateurs ?
T. Pham : La précocité de son utilisation ne constitue pas un problème majeur de santé mentale en soi si les plus jeunes sont (constat général) plus encadrés par les adultes. Selon moi, il n’en va pas tout à fait de même pour les moins jeunes et les adolescents. Chez ces derniers, l’utilisation échappe davantage à l’encadrement parental. Aussi, la prévention directe auprès de ces derniers afin de limiter les risques d’addiction, les troubles du sommeil, les rencontres malencontreuses, devrait être plus efficace que la prévention auprès d’adultes uniquement ou même le « débranchage » périodique ou autoritaire. Ce dernier peut paraître un peu vain compte tenu des enjeux de cette période d’âge et des technologies multiples actuelles (« always online »).
On entend souvent dire que les agresseurs virtuels sont plus présents que dans la vie réelle, est-ce un adage populaire ou une réalité ?
T. Pham : En Belgique en tout cas, en l’absence de législation spécifique (Grooming) jusqu’en 2015, la prévalence précise des agresseurs virtuels par rapport aux agresseurs hors ligne, demeure inconnue. Cette prévalence dépend du cadre légal afin d’identifier ces auteurs, du degré de sollicitation agressive, des méthodes utilisées selon la recherche, ainsi que du nombre d’évènements abusifs par agresseur et par victime selon le temps. Selon moi, cette prévalence serait beaucoup plus faible que les stéréotypes habituels (cf. mythe des prédateurs omniprésents), eu égard au caractère assez spécifique (moins polymorphe et impulsif) et plus favorisé culturellement de cette délinquance. Ce constat a été formulé précédemment dans les pays ayant étudié la question avant la Belgique (Bryce, 2010).
Quels sont aujourd’hui les défis de la recherche dans le domaine des agressions en ligne ? Y a-t-il des méthodes préventives plus efficaces que d’autres ?
T. Pham : Nous devons mieux cerner le profil psychologique de ces auteurs au-delà de leur risque de récidive sexuelle et de leur Modus operandi. Par ailleurs, le politique se montre souvent sensible à la prévention, toutefois, les méthodes préventives existantes ne sont en général pas réévaluées. Un peu comme si la vertu suffit et que les généralités rassurent. Toutefois, une approche pluridimensionnelle et non plus unidimensionnelle est fondamentale, alliant les enjeux d’éducation, de santé, de technologie et de psychologie légale. Aussi, avec mon collègue Bruno Delièvre des sciences pédagogiques (UMONS), nous nous proposons de mener une recension des outils préventifs existants aux plans national et international et de réfléchir à une méthodologie complémentaire éducation-psychologie. L’idée étant d’évoluer vers un projet de recherche définissant des stratégies préventives spécifiques, des mesures opérationnelles d’efficacité et des modèles d’intervention directs auprès des jeunes à risque et des co-acteurs de même âge. La recherche internationale a montré que la prévention directe auprès des groupes à risque est prioritaire par rapport à la prévention « généraliste » souvent coûteuse et moins efficace auprès d’adultes qui « savent déjà » ou de jeunes déjà dûment « résilients » (se trouvant dans un contexte de protection familiale). Une recherche sur le continu et non plus sur l’instantané est fondamentale.
La vidéo de cette conférence sera prochainement mise en ligne. Contact : lena.goessens@umons.ac.be