Conférence-débat autour de la protection du patrimoine moderniste en Wallonie et plus particulièrement de l’œuvre de Jacques Dupuis

Publié le 9 octobre 2012
Rédigé par UMONS Administration
Le 9 octobre 2012, l’association JacquesDupuis#2015, en partenariat avec PAC Mons-Borinage, la Faculté d’Architecture et d’Urbanisme de l’UMONS, organisait une conférence/débat. Cette première activité avait pour but de sensibiliser le grand public mais également les autorités compétentes à l’urgence de sauvegarder ce patrimoine unique, témoin d’une époque.

Conférence/débat autour de la protection du patrimoine moderniste en Wallonie et plus particulièrement de l’œuvre de Jacques Dupuis

Le 9 octobre 2012, l’association JacquesDupuis#2015, en partenariat avec PAC Mons-Borinage, la Faculté d’Architecture et d’Urbanisme de l’UMONS, organisait une conférence/débat autour de la protection du patrimoine moderniste en Wallonie et plus particulièrement de l’œuvre de Jacques Dupuis.

Cette première activité avait pour but de sensibiliser le grand public mais également les autorités compétentes à l’urgence de sauvegarder ce patrimoine unique, témoin d’une époque.

Un public nombreux, composé d’étudiants, d’architectes, de propriétaires d’habitations créées par Dupuis, de passionnés ou de curieux de l’architecture moderniste, ont assisté aux 2 conférences de Jan Thomaes et Josef Braeken ainsi qu’au témoignage de Mr Discart, deuxième propriétaire de la maison du peintre Camus. Ces interventions ont donné lieu à un échange avec le public animé par Etienne Holoffe, architecte et enseignant à la Faculté d’Architecture et d’Urbanise de l’UMONS.

Plusieurs thèmes de réflexion ont émergé durant cette soirée :

  • La médiation, de l’individu vers le collectif
  • Le rôle de la recherche et de la connaissance
  • La protection comme acte symbolique et politique
  • Classer et non pas figer

De l’individu au collectif

Comme nous l’avons d’abord perçu avec Mr Discart, habiter une œuvre de Jacques Dupuis, comme vivre aux côtés d’un objet d’art, c’est s’approprier une part d’exceptionnelle et d’intemporelle, c’est éprouver une expérience sensorielle et émotionnelle unique. L’architecture de Jacques Dupuis, tant chez les commanditaires de son œuvre que chez les usagers qui n’ont pas connu l’auteur, exercent incontestablement une certaine fascination.

Le but de l’association JacquesDupuis#2015 est d’assurer la transmission de cette émotion individuelle vers la collectivité. Rendre perméable cette expérience réservée à quelques-uns par des soirées comme celle-ci ainsi que par un projet d’exposition autour de la réappropriation dans le cadre de Mons 2015. Le désir de protection de cet œuvre architectural majeur est pour l’association une condition concomitente à sa diffusion et son appréciation par un large public.

Singulière, l’œuvre de Jacques Dupuis l’est foncièrement. Jan Thomaes a parlé d’une architecture d’une « modernité narrative », teintée tantôt de symbolisme tantôt d’expressionnisme. Ce sont ces décalages vis-à-vis du modernisme pur des origines (années 20-30, Louis Herman De Koninck, Marcel Leborgne…) qui donnent au plan international une forte valeur ajoutée aux œuvres de certains architectes belges d’après-guerre, que ce soit Jacques Dupuis mais aussi par exemple à Marcel Depelsenaire dont l’œuvre en Hainaut est aussi menacée. Cette singularité est d’ailleurs un trait de notre identité et d’une certaine forme de modernité à la belge (cf Expo 58).

Recherche, connaissance, identification

Comme on le voit avec l’œuvre de Jacques Dupuis, la publication d’un inventaire raisonné par Maurizio Cohen et Jan Thomaes a été absolument déterminante. Il a été le socle sur lequel se sont posées les premières actions de médiation (activités de l’association « Le Parador » fondée par Emmanuelle Dupuis, Julie Brunel et André Dartevelle) et la mesure de protection globale de 8 maisons privées en Flandre. Même si Dupuis était connu de son vivant et reconnu par le milieu de l’architecture, les travaux scientifiques de ce genre sont essentiels à toute action de protection. Le livre révèle a posteriori et de façon analytique l’intérêt fondamental, scientifique et collectif d’une œuvre. Comme l’a exprimé Françoise Duperroy, directrice du Département du Patrimoine à la Direction de la Protection du Patrimoine de la Wallonie, on ne classe « de-ci de-là, au coup par coup, sans posséder la vision complète d’une œuvre ou d’un phénomène particulier », l’acte de classer étant d’abord à considérer comme une action au bénéfice des générations futures, ses retombées n’étant d’ailleurs pas immédiatement perceptibles. L’un des obstacles aujourd’hui à la protection du patrimoine d’après-guerre c’est son manque de connaissance approfondie et l’absence d’identification globale. La mise à jour des inventaires du patrimoine de Wallonie comble peu à peu cette lacune. Les créations de Jacques Dupuis y sont désormais référencées.

La protection comme acte symbolique et politique

Le classement est un acte qui touche à la citoyenneté et à la cité, c’est donc un acte politique. Choisir de protéger -autant que ne pas protéger- façonne le cadre de vie pour les générations futures. N’ayons pas peur des mots, le bilan qu’a tiré Jozef Braeken révèle que la Flandre a une longueur d’avance sur la Wallonie en matière de protection du patrimoine architectural d’après-guerre. Alors que la question de la protection s’est seulement posée en Flandre en 1995, Monsieur Braeken nous a prouvé qu’en moins de 20 ans, il a été possible de classer une centaine de monuments en Flandre (contre une dizaine en Wallonie). Pourtant, des administrations aux compétences similaires et des instances d’avis comparables abattent ici comme là-bas un travail conséquent pour l’identification et la protection. Qu’est-ce qui coince donc en Wallonie ?  Il est peut-être temps de s’interroger sur la dimension symbolique du classement. Le fait que l’architecture moderniste soit si peu protégée en Wallonie nous révèle donc une part de nous même… Il s’agit ici de prendre conscience de notre responsabilité collective et des pouvoirs d’action dont nous disposons. L’urgence est là : des réunions comme celle du 9 octobre 2012 à Mons prouvent que la mobilisation est possible et le monde politique concerné.

Classer et ne pas figer

Le débat autour du classement a révélé de nombreux clichés sur ce qu’est un classement. Classer coûte cher ? On a rappelé que la Belgique était un pays particulièrement généreux envers les propriétaires de biens classés, la Wallonie en particulier, ce qui est effectivement positif puisqu’il s’agit bien d’un soutien à l’imposition de conserver son bien en « bon père de famille ».

Le manque de recul? La Flandre nous prouve avec une certaine audace le contraire, à classer des œuvres qui nous sont absolument contemporaines. On trouve bien des œuvres d’art contemporain dans nos musées, pourquoi pas des architectures contemporaines dans les registres  des biens classés.

Déclasser pour classer de nouveaux biens ? La proposition a fait réagir le public. Il est logique que la part classée du patrimoine d’aujourd’hui soit très faible compte-tenu des milliers de biens produits par des siècles d’art de bâtir. C’est l’inverse qui serait préoccupant. Une piste a été évoquée: à l’instar de la France, initier un label « Patrimoine XXème siècle » qui a pour objet « d’identifier et de signaler à l’attention du public, au moyen d’un logotype conçu à cet effet, les constructions et ensembles urbains protégés ou non au titre des Monuments Historiques ou des espaces protégés dont l’intérêt architectural et urbain justifie des les transmettre aux générations futures comme des éléments à part entière du patrimoine du XXème siècle. Le signalement est accompagné par des actions de sensibilisation et de diffusion auprès des élus, des aménageurs et du public (expositions, publications…) (*)».

Le classement fige ? L’esprit de la législation en la matière est tout autre, de nombreux biens publics ou privés classés font l’objet de réhabilitations audacieuses. Des procédures telles les certificats de patrimoine, impliquant des experts l’administration et de la Commission royale des monuments, sites et fouilles, existent pour permettre les bons compromis qui offrent une nouvelle vie aux biens (adaptation du bati à ses nouvelles fonctions).

En conclusion

Le succès de foule de cette soirée (plus de 200 participants) a révélé que l’intérêt pour l’œuvre de Jacques Dupuis est réel. Cette mobilisation sur le thème de la protection de son œuvre est un signal démocratique auquel, nous l’espérons, les autorités seront sensibles. Gageons que des actions de ce type feront peser la balance en faveur du classement. Cette architecture si peu protégée est aussi celle d’une période que l’on désigne parfois de « Trente glorieuses » : période de croissance, de plein emploi, de croyance en un monde meilleur et au progrès illimité. Gardons au mieux les traces de cette époque essentielle.

(*)Voir site du Ministère de la Culture